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vendredi, 17 juin 2016

LONGTEMPS AVANT ORLANDO

LE MEURTRE, TRADITION FOLKLORIQUE AMÉRICAINE

L’Amérique est un fort beau pays, et les Américains sont de bien braves gens, comme le montrent très régulièrement les fusillades auxquelles ils se livrent, sans doute « pour se désennuyer un peu » (Tonton Georges, "Saturne"). On peut le vérifier en lisant dans Le Monde les statistiques établies par le site Shooting tracker ou l’organisation Gun Violence Archive. Cette dernière indique par exemple qu’en 2015, on dénombre 12.191 personnes tuées par balle au cours de 353 fusillades (une par jour ou peu s’en faut). En somme, pas de quoi s’inquiéter : dormez tranquilles, braves gens. Chers Américains : s'ils n'existaient pas, faudrait-il les inventer ? 

Le meurtrier d’Orlando, dont les médias soulignent, selon leur "orientation", les motivations terroristes, psychiatriques ou homophobes (mais on a du mal à comprendre ceux qui soutiennent cette dernière thèse, hormis le fait qu’elle leur permet de prendre la posture toujours hautement prisée et le statut quasi-sacré de la Victime - voir la longue plainte martyrologique - en fait un plaidoyer pro domo - de Jean Birnbaum dans Le Monde daté 17 juin 2016), comme tous les autres Américains, est venu d’ailleurs. Comme tous les autres Américains, il a pu acquérir une arme de guerre, grâce à la vigilance de la NRA, cette bienfaitrice de l’humanité qui monte une garde intraitable à l’entrée du deuxième amendement pour empêcher que des mains sacrilèges viennent bousiller le droit de porter des armes sur la voie publique. 

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Il suffit de se pencher sur l’histoire longue des Etats-Unis pour se rendre compte que le flingage philanthropique du prochain est une vieille tradition de cette nation d’une proverbiale piété chrétienne (quoique protestante). C’est ainsi que dans le numéro 376 du Journal des Voyages, daté du dimanche 21 septembre 1884, un certain Daniel Arnaud raconte la même manie des Américains de s’entretuer très chrétiennement. La scène se passe au « théâtre du Vaudeville » de San Antonio (Texas). Où l’on voit que les champions du progrès technique et de la prospérité matérielle à tout prix ne se lassent pas de ce passe-temps qui consiste à faire mourir autrui. 

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L’article dont l'image de « une » ci-dessus est le support et le motif est joliment et spirituellement intitulé « Les singularités américaines ». C’est vrai ça : quel peuple singulier ! Jugez plutôt : « Les Américains ont plus d’un côté original dans leur civilisation – qui est la civilisation anglo-saxonne avec une singulière exagération de la volonté individuelle. Ce qui les caractérise le mieux peut-être, c’est leur indiscipline sociale, se traduisant pas un manque absolu de déférence pour la justice, une excessive répugnance à avoir recours à sa protection et à s’abriter derrière ses décisions ». Pour l'exagération de la volonté individuelle, on serait assez d'accord, mais on se demande où l’auteur est allé chercher cette répugnance au juridique : les USA sont aujourd’hui le pays où le taux d’avocats par habitant constitue un record du monde, ce qui n'empêche nullement les armes de circuler et de faire entendre leurs aboiements. Passons. 

Il est vrai que Daniel Arnaud embraie sur l’histoire d’un Américain célèbre dont le nom propre a produit un nom commun : « C’est ainsi que, de l’autre côté de l’Atlantique, à l’exemple du juge irlandais Lynch, condamnant et exécutant de ses mains son fils coupable d’un meurtre, les populations ont pris l’habitude de se faire justice en dehors des tribunaux ».

Les sources de Daniel Arnaud sont discutées par de hautes autorités : au sujet de Lynch, qui a donné lynchage (après "Lynch's law", expression de 1782), l'encyclopédie en ligne indique « un certain Charles Lynch (1736-1796), "patriote" de l'Etat de Virginie », alors que le Robert historique explique que c'est le « Capitaine William Lynch (1742-1820) de Virginie, qui eut l'initiative de cette pratique ». Je n’ai pas cherché à en savoir davantage, même si je sais que le Journal des Voyages n'hésitait jamais devant une image un peu forte qui, à ses yeux, faisait plus « couleur locale » (et même "haute fantaisie", voir billet du 8 juin). 

Au Texas, qui est non seulement un Etat du Sud mais aussi un Etat de l’Ouest, les hommes de 1884 ne se séparent jamais de leur arme : « Les Yankees ne sauraient sortir de chez eux sans emporter dans leur poche un revolver chargé. Aussi dans la rue, dans un café, dans un théâtre, dès qu’une querelle s’envenime, des paroles on passe aux coups … de pistolet. Les passants recueillent quelques balles dans les pans de leurs habits ». Des habits en acier, sans doute. 

Le duel dont parle Daniel Arnauld n’est pas daté. La source, un journal américain, n’est pas nommée. Mais fi de ces vains détails ! Il suffit que l’essentiel soit préservé : Ben Thompson (quatre balles dans le buffet) et Ning Fisher (trois balles seulement : moralité, soit les deux visaient comme des pieds, soit les munitions manquaient de « puissance balistique ») se sont entretués alors qu’ils assistaient depuis les deuxièmes galeries au spectacle offert ce soir-là au théâtre du Vaudeville de San Antonio (Texas). Ben Thompson s’était illustré « le 18 décembre dernier », en assassinant Jack Harris, le propriétaire de la salle. Je note pourtant que personne ne lui en a interdit l’entrée le jour du duel fatal. 

Comment en est-on arrivé à ces extrémités ? Le récit est pour le moins elliptique sur les motifs de l’algarade : « Ils ont pris place dans la seconde galerie et, à peine assis, ils ont commencé à se quereller. Un autre spectateur, Joe Foster, a essayé de les apaiser et a reçu aussitôt une balle dans la jambe. Le premier coup de feu a été rapidement suivi de plusieurs autres, et la salle de spectacle fut bien vite évacuée avec précipitation, la plupart de ses occupants sautant sur le parquet et les autres s’élançant par les fenêtres dans la rue ». Un petit air de Bataclan, vous ne trouvez pas ?  

Je ne m’attarde pas sur le reste de l’article, où l’auteur évoque les bars (« sortes de boutiques de liquoristes installées à l’extérieur des grands hôtels américains », l'auteur ignorait tout du genre "western") et les « cafés chantants », où abondent les « tables de jeu », toutes circonstances si propices au langage de la poudre, surtout quand le bourreau alcool a fait son office. 

Omar Mateen, finalement, qu’il soit homophobe, mentalement dérangé, alcoolique (comme il semblerait), homosexuel (comme il semblerait) ou affilié à l’état islamique (je laisse les minuscules), est un digne héritier de cette magnifique tradition américaine qui fait de l’arme à feu un symbole absolu (il faudrait dire : "le fer de lance", voire "l'arme suprême") de la liberté individuelle. 

La définition américaine de la liberté individuelle a quelque chose d'effrayant.

Voilà ce que je dis, moi.

Note : in memoriam Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider, tués par un fou d'Allah, dans des conditions tellement terribles à voir que les propagandistes de l'état islamique ont supprimé de la vidéo faite par Larossi Abballa les images où apparaissait le petit garçon de trois ans. Une pensée pour lui, il en aura besoin.

jeudi, 19 mai 2016

BRASSENS ET MUSSET

À MON FRÈRE REVENANT D'ITALIE

Cette chanson ne figure pas sur les 33 tours publiés par Georges Brassens. Je ne l'ai découverte que tardivement, quand j'eus acquis, progrès technique aidant, les objets supportant les reports numériques des œuvres presque complètes de Tonton Georges : les disques compacts.

Je suis comme la France en matière de progrès sociétaux, je veux dire "en retard". Vous savez, ces farces qu'on veut à tout prix vous vendre pour le fin du fin du dernier cri. Tout juste sorti des urnes sondagières, vous savez, ces machins qui vous convainquent que vous votez pour un guignol à 50,01 %, alors que l'autre moitié de vous-même vote pour le concurrent à 49,99 %. Ensuite, c'est aux deux moitiés de se réconcilier.

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Il semble que la chanson en question, non seulement est inconnue du grand public, mais reste un brin méconnue jusque dans les rangs des georgeomanes connaisseurs et autres brassensophiles diplômés. Quelle stupéfaction, quand j'avais entendu ce bijou, bien tardivement, au moment où j'avais remplacé mes vieux vinyles par des supports plus "modernes". On la trouve à la presque fin du CD "Mourir pour des idées" (avec la photo du chat au strabisme convergent carabiné). Dommage qu'une chanson-boutade vienne après ("Le roi boiteux", sur un poème de Gustave Nadaud), et rompe le charme. Enfin bon. 


 

Cette chanson magnifique (4'54 sur écran noir, moins de 5000 vues depuis août 2012, où elle fut installée, je n'ai rien trouvé d'autre) met en musique quelques strophes d'un magnifique poème d'Alfred de Musset : « A mon frère revenant d'Italie ». Du poème, Brassens ne retient que dix strophes sur trente-deux. Le goût poétique de Georges Brassens, inné et amoureusement cultivé, fait qu'il a indéniablement choisi les plus belles stances. Le poème s'en trouve miraculeusement allégé de ses impedimenta. 

Ainsi, mon cher, tu t'en reviens 
Du pays dont je me souviens, 
Comme d'un rêve, 

De ces beaux lieux où l'oranger 
Naquit pour nous dédommager 
Du péché d'Eve.

Tu l'as vu, ce fantôme altier
Qui jadis eut le monde entier
Sous son empire.
César dans sa pourpre est tombé ;
Dans un petit manteau d'abbé
Sa veuve expire.

Tu t'es bercé sur ce flot pur
Où Naples enchâsse dans l'azur
Sa mosaïque,
Oreiller des lazzaroni
Où sont nés le macaroni
Et la musique.

Qu'il soit rusé, simple ou moqueur,
N'est-ce pas qu'il nous laisse au cœur
Un charme étrange,
Ce peuple ami de la gaieté
Qui donnerait gloire et beauté
Pour une orange ?

Ischia ! c'est là qu'on a des yeux,
C'est là qu'un corsage amoureux
Serre la hanche.
Sur un bas rouge bien tiré
Brille, sous le jupon doré,
La mule blanche.

Pauvre Ischia ! bien des gens n'ont vu
Tes jeunes filles que pied nu
Dans la poussière.
On les endimanche à prix d'or ;
Mais ton pur soleil brille encor
Sur leur misère.

Quoi qu'il en soit, il est certain
Que l'on ne parle pas latin
Dans les Abruzzes,
Et que jamais un postillon
N'y sera l'enfant d'Apollon
Ni des neuf Muses.

Toits superbes ! froids monuments !
Linceul d'or sur des ossements !
Ci-gît Venise.
Là mon pauvre cœur est resté.
S'il doit m'en être rapporté,
Dieu le conduise !

Mais de quoi vais-je ici parler ?
Que ferait l'homme désolé,
Quand toi, cher frère,
Ces lieux où j'ai failli mourir,
Tu t'en viens de les parcourir
Pour te distraire?

Frère, ne t'en va plus si loin.
D'un peu d'aide j'ai grand besoin,
Quoi qu'il m'advienne.
Je ne sais où va mon chemin,
Mais je marche mieux quand ta main
Serre la mienne.

Les gens informés savent ce que Musset a subi d'avanies physiques et sentimentales en Italie, du temps des orages que connurent ses relations avec George Sand (« Ces lieux où j'ai failli mourir, Tu t'en viens de les parcourir Pour te distraire »). Paul de Musset a parcouru l'Italie de long en large et de haut en bas. Alfred et lui passent l'hiver 1843-1844 à échanger leurs souvenirs au cours de longues conversations. Au printemps, il compose "A mon frère revenant d'Italie".

Georges Brassens a élagué le poème de tous les clichés, chromos et autres stéréotypes devenus nos cartes postales, pour ne garder que les évanescences splendides d'une Italie de rêve, au service de laquelle se met la guitare de Joël Favreau, dont la seule introduction de la chanson constitue un petit miracle mélodique.

Il a eu raison d'évacuer tout le superfétatoire.

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 03 mai 2016

LE RYTHME, LE COLLECTIF ET LE PUBLIC

004.jpgAvec John Mayall et son groupe (Blue Mitchell, Clifford Solomon, Larry Taylor, Ron Selico, Freddy Robinson), l’événement rythmique collectif se produit dans « Good times boogie », et dure environ une minute, à partir de 5’15". C'est là que les gars cessent de jouer une musique qu'ils ont apprise : ils se sont trouvés ! A ce moment, ils sont devenus la musique en personne. En nom collectif. Mais ce qui se passe sur scène vient aussi de ce qui se passe avec la salle. 


Cela ne s'explique pas. Et ça ne dure pas, les instants à saisir par les oreilles. J'ai eu le même sentiment en entendant « What is this thing called love ? » par le trio Jarrett, Peacock, DeJohnette (c'est dans Whisper not, Paris, 1999, à partir de 8'33", quand Jarrett réduit son piano à un "Salt Peanuts" répétitif et discret, pour accompagner la fin du solo de Peacock, mais surtout l'effervescent solo de DeJohnette à la batterie, on ne peut pas s'y tromper : c'est à la reprise du thème que le public, n'en pouvant plus, éclate).

Ce qui m’intéresse dans « Mile 0 », dans le disque Uzeb live in Europe, c’est, en même temps que003.jpg l’événement collectif, la guitare basse d'Alain Caron qui, pendant presque tout le morceau (elle se tait parfois) et de sa technique assez particulière, fouette l’oreille de son timbre ultramétallique, comme un plectre impitoyable. La composition du morceau dans son ensemble, le thème principal en particulier, n’enlève rien à cette impression d’entraînement irrésistible.

Là encore, l’enthousiasme du public fait une bonne part du travail. C'est comme le professeur, quand il est face à une classe d'excellence. De deux choses l'une : soit il s'écrase comme une bouse de vache. Soit il se transcende et devient plus grand que lui-même, gravant quelques moments inoubliables dans quelques mémoires, à commencer par la sienne.


Il n’y a pas à tortiller du croupion, la présence active du public lors de l’enregistrement donne corps et consistance à la croyance, comme une confirmation éclatante, que j'ai raison de vibrer à ce que je suis en train d’écouter. 

001.jpgIl se produit quelque chose d'analogue quand j'écoute, de l'immense Oum Khalsoum (Om Kalsoum, Om Khaltoum, Oum Khoultoum ou comment que son nom s'écrive), l'enregistrement public de "Ana Fe Entezarak" (46'35"), de "Ahl El Hawa" (45'35") ou de "Keset El Ams" (mon préféré, 58'30") : l'enthousiasme des hommes qui sont là m'explique quelque chose de ce qu'il faut entendre et retenir du chant de "la perle de l'Orient". C'est précisément pourquoi je n'ai d'elle que des enregistrements publics.

Ou quand j'écoute "Sweet and lovely" (Erroll Garner, Eddie Calhoun, Kelly Martin,002.jpg 5'35"), qu'on trouve dans One world concert, en entier, mais attention à partir de 3'47" : à un moment donné, il se passe quelque chose du côté de la pulsation et de la syncope. Là encore, c'est à saisir, parce que ça ne dure pas.

Sans public, un artiste n'est rien qu'une sale manie. C'est Brassens qui le dit, dans "Le mauvais sujet repenti" (la chanson qui finit par le délicieux : "Comme je n'étais qu'un salaud, J'me fis honnête"). C'est le même Brassens qui chante « Si le public en veut, je les sors dare-dare. S'il n'en veut pas, je les remets dans ma guitare, Refusant d'acquitter la rançon de la gloire, Sur mon brin de laurier, je m'endors comme un loir » (on a reconnu les "Trompettes de la renommée").


Il a raison. Brassens a toujours raison. Même quand il a tort. Il a un vrai public. C'est même pour ça que Brassens a pu devenir Tonton Georges.

Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 29 février 2016

LA BOUGIE DU SAPEUR

Eh oui, nous revoici aujourd'hui un 29 février (ne pas confondre avec "Un 22 septembre" : « Mais nous y revoilà, et je reste de pierre, Pas une seule larme à me mettre aux paupières »), jour anniversaire de tous ceux dont on fête l'anniversaire, je veux dire de tous ceux qui vieillissent quatre fois moins vite que tout le monde, puisqu'il leur faut quatre années pour vieillir d'une, quand tout le monde, sur la même durée, en prend quatre dans les gencives. Raison pour laquelle on ne leur dit "bon anniversaire" que rarement. Toujours ça de gagné en dépenses pour les cadeaux. Mais il y a dans mon entourage fort peu de natifs du 29 février.

Il en est ainsi du Sapeur Camember. Tout ça parce que son créateur Christophe, pseudonyme limpide d'un estimable professeur de "sciences naturelles" nommé Georges Colomb, a fait naître son héros le 29 février 1844 à Gleux-lès-Lure, dans le département bien connu de la "Saône-Supérieure". Il a fait donner au fils d'Anatole Camember, cultivateur, et de Polymnie Cancoyotte, les prénoms de François-Baptiste-Ephraïm.

Cet hommage bissextile à la quintessence du Sapeur paraît donc dans les kiosques tous les quatre ans sous le titre désormais renommé de « La Bougie du Sapeur ». En ce 29 février 2016 doit normalement paraître le numéro 10 : quarante ans. Il m'a paru bon de rappeler ici de quelle bougie il s'agit. La bible camemberesque est composée de planches comportant six vignettes. La dite bougie apparaît sur la planche intitulée "Le dernier exploit dramatique de Camember". Jérôme Garcin, de derrière son Masque et sa Plume, dirait : « dramatique et néanmoins théâtrale », à moins que ce ne soit l'inverse. Dans l'épisode concerné, le théâtre local s'adresse à la caserne : on a besoin d'un figurant. C'est évidemment Camember qui s'y colle.

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Je n'ai rien à ajouter : Camember se suffit à lui-même.

Voilà ce que je dis, moi.

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N'oublions pas le drapeau : Camember fut un patriote émérite, qui se battit comme un lion contre les casques à pointe, et qui sauva héroïquement son colonel, au péril de sa vie.

jeudi, 21 janvier 2016

NÉO-RÉAC ET FIER DE L’ÊTRE

Double page « Débats » dans Le Monde daté 19 janvier : « Les néoréacs ont-ils gagné ? ». Ah, que l’intention est belle et noble ! Nicolas Truong, journaliste, fait précéder son article de présentation du « chapeau » suivant : « Le succès d’audience politique et l’hégémonie médiatique des antimodernes ou des néoconservateurs est-il le signe d’une dérive droitière en France ou provient-il de leur capacité à nommer le mal qui ronge nos sociétés ? ». L’alternative proposée a un air d’honnêteté à première vue. A ceci près que je m’étonne de l’expression "audience politique" : je ne savais pas que Finkielkraut, Onfray ou Zemmour (portraiturés en la compagnie bizarre de Patrick Buisson) avaient été nommés conseillers de nos plus hauts responsables politiques, dont ils ne pensent en général pas beaucoup de bien. 

Quant à "hégémonie médiatique", je suis très mal placé pour en juger, dépourvu que je suis de cet appareil qu’on appelle « télévision », pour un motif que je persiste à estimer crucial, déterminant, vital, prépondérant, bref : capital. Comme Günther Anders et Guy Debord, je pense en effet qu’avec le poste de télévision installé en bonne place au salon, est juridiquement constitué le délit d’atteinte à la liberté individuelle. Je ne suis donc pas en mesure d’évaluer la force de l’emprise des « néoréacs » sur les plateaux. Contrairement à Philippe Sollers, qui osait dénier à Louis Althusser la qualité de "penseur" du seul fait qu'il n'avait pas la télévision, je crois qu'il est plus facile de continuer à penser quand on n'est pas encombré de cet objet intrusif. Je préfère m'en remettre au concept de "spectacle", élaboré par Guy Debord (voir mon billet du 18 janvier).

A voir l'armée des boucliers qui se lèvent dès qu’un de ces individus suspects ouvre la bouche, j'ai plutôt l'impression que le mot d’ordre est très généralement de faire taire les "néoréacs" sous le déluge des réactions scandalisées. On peut faire confiance au chœur des flics de la pensée pour veiller comme des vestales vigilantes sur le consensus moral, moralisant et moralisateur, dans lequel ils s’efforcent de bétonner toute l’époque, à coups de glapissements. Voir par exemple la façon dont Michel Onfray, qui a été récemment vomi par les cent bouches de la déesse dont parle Georges Brassens dans "Trompettes de la renommée" (« Pour faire parler un peu la déesse aux cent bouches, Faut-il qu'une femme célèbre, une étoile, une star, Vienne prendre entre mes bras la place de ma guitare »), s'est senti obligé de fermer sa page fesse-bouc et son « fil twitter ». 

La haine de ces sentinelles de la "Nouvelle Vertu" pour ceux qui commettent des infractions à l’ordre qu’ils veulent faire régner a quelque chose de stupéfiant, et pour tout dire d’incompréhensible. Dans ses pages « Débats », Le Monde se garde bien entendu de trancher, et Nicolas Truong veille soigneusement à ne pas déroger à la sacro-sainte règle de neutralité, qui maintient la ligne du journal dans un juste-milieu de bon aloi, équidistant des extrêmes. Inattaquable.

Enfin, quand je dis "soigneusement", j’exagère. Certes, Nicolas Truong donne la parole à Alain Finkielkraut, et son interview peut donner une impression d’impartialité. Mais il ouvre dans le même temps les colonnes du journal à deux guerriers de la "Nouvelle Vertu" : l’historien Daniel Lindenberg et la sociologue Gisèle Sapiro, qui font jaillir, du haut des chaires universitaires où ils vaticinent, le venin capable de renvoyer l’ennemi déclaré dans le néant dont il n’aurait jamais dû sortir. Comptez : un neutre, un pour, deux contre. Le combat était inégal avant même la publication.

Le point commun, dans l’argumentation de ces deux mercenaires, c’est de ranger les intellectuels « néoréacs » parmi les responsables de la montée de l’extrême-droite : Sapiro fait référence au mouvement allemand « Pegida », Lindenberg à l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson. Lindenberg accuse même les « néoréacs » de véhiculer « une authentique rhétorique d’extrême-droite », quand Sapiro fait mine de s'alarmer de leur succès médiatique « alors que le FN est en pleine ascension ».  L’intention, au moins, est claire : disqualifier l’adversaire en le faisant complice de supposés fascistes. Finkielkraut faisant le jeu de Marine Le Pen, l'hypothèse est tellement courge que je ne la discute même pas.

Ce qui apparaît de façon lumineuse, en tout cas, c’est la dissymétrie entre les argumentaires des uns et de l’autre. Alain Finkielkraut porte un regard sur l'ensemble de l'époque : « Je cherche seulement à penser le présent selon ses propres termes. Je le dépouille ainsi des oripeaux dont le revêt la prétendue vigilance et je suis traité de néoréac parce que je dis : "Le roi est nu" ». Finkielkraut mène une analyse du monde tel qu’il va. Il se contente de dire, à la suite de Guy Debord et de Philippe Muray, que le monde et l'humanité vont très mal. Il a quitté les rangs des choristes de l’Empire du Bien, c’est ce que ceux-ci ne lui pardonnent pas. 

Car la dissymétrie est là : autant Finkielkraut parle du monde, autant Sapiro et Lindenberg parlent de Finkielkraut. Je veux dire que, si l'un parle du monde, les autres parlent de la personne qui a parlé. Quand celle-ci développe une argumentation « ad rem », ceux-là se déchaînent « ad personam ». Le coup classique : quand un argument t'embarrasse, il suffit d'attaquer la personne qui l'a proféré. Dans la plupart des cas, ça marche, devant les badauds.

Daniel Schneidermann avait utilisé la même ficelle, en son temps, dans Le Monde diplomatique (mai 1996) contre Pierre Bourdieu (que je n'aime pourtant guère), en réponse à l’article où celui-ci tirait les conclusions de son passage dans son émission Arrêt sur images, article intitulé « Peut-on critiquer la télévision à la télévision ? ». Schneidermann, dont j’estime le travail par ailleurs, n’avait pas aimé du tout, et s’en était pris à son invité en l’accusant, entre autres, en jouant sur son nom, de se prendre pour Dieu, si je me souviens bien. J'avais trouvé ça assez bas.

En gros, les « néoréacs » posent un diagnostic sévère sur l’état actuel du monde, alors que leurs accusateurs insultent les personnes qui osent un tel diagnostic. Coup classique, certes, mais infâme. Nicolas Truong pose d’ailleurs la question : « … et si ces néoconservateurs avaient raison ? ». Passons sur les qualifications d' "antimodernes" et de "néoconservateurs", bien qu'il y eût eu à dire. Eh oui, pendant que le sale gosse Alain Finkielkraut est le seul à dire que le roi est nu, alors que la foule des courtisans fait semblant de s’extasier sur la somptuosité de ses vêtements transparents, Daniel Lindenberg et Gisèle Sapiro intiment l’ordre au sale gosse de se taire : il ne faudrait pas, en disant la vérité, désespérer le peuple, on ne sait pas ce dont il serait capable. Cela pourrait créer du désordre.

Cela n’empêche pas Gisèle Sapiro d’avouer sa niaiserie profonde. Devinez comment elle conclut sa diatribe imbécile. Tout simplement en posant la question qu’elle n’aurait jamais dû oser poser. Car après avoir déversé son venin, voici ce qu’elle écrit : « Ils "passent" bien à la télévision ou à la radio. Cela contribue-t-il à expliquer ce qui n’en demeure pas moins un mystère, à savoir, pourquoi ils suscitent un tel intérêt auprès du public ? ». C'est un aveu de défaite, en même temps que d'incompétence fielleuse. Traduction : si le gars a du succès, la teneur de ses propos n'y est pour rien, c'est juste parce qu'il est télégénique.

Traduction bis : pourquoi les gens en redemandent, de ces salauds de « néoréacs », au lieu de nous écouter religieusement, nous qui savons ("de toilette", réplique Boby Lapointe) dire les mots qu'il faut pour rassurer ? Daniel Lindenberg et Gisèle Sapiro ne sont pas des menteurs professionnels. Ils haïssent seulement les porteurs de vérités désagréables. Et le "public" représente à leurs yeux un insondable mystère. J’imagine que leur gagne-pain est lié à la conviction qu’ils affichent dans l’entreprise systémique de dénégation du réel. Sapiro n'est pas près de se faire écouter du peuple. Non, je ne crois pas, contrairement à ce que nous serinent les sondages, que les gens "ont peur", "sont angoissés", et tout ça. J'ai plutôt l'impression que les gens se disent, jour après jour : quel sale monde que le monde qui s'annonce ! Et tous ces guignols qui font semblant de le trouver radieux !

Car Sapiro avoue ici, ingénument, son ignorance de l’essentiel, à savoir ce qu’attendent les gens. Ce qu’ils attendent ? Que ceux qui causent dans le poste leur disent enfin la vérité sur le monde réel. Oui, monsieur Truong, ils attendent des responsables un peu de courage, celui qu’il faut pour « nommer le mal qui ronge nos sociétés », comme vous écrivez. "Nommer le mal" ! Et je peux vous dire que ce mal s’appelle le Mensonge. Et les gens n’en peuvent plus : si on ne leur donne pas la vérité, c’est normal qu’ils préfèrent mettre la tête sous l’aile et s’abstenir aux élections. Leur taux d’abstention est proportionnel au mensonge que les pouvoirs leur servent jusqu'à la nausée. Qui ose aujourd'hui "nommer le mal" ? Je ne vois que les « néoréacs ».

Car la vérité du monde aujourd’hui n’est pas belle à voir. Economie ? Le travail manuel remplacé par des robots, le travail intellectuel remplacé par des logiciels et des algorithmes : c'est promettre la fin du travail et le chômage de masse à perpétuité. Finances ? Soixante-deux bonshommes possèdent autant à eux seuls que la moitié de l’humanité. Politique ? Extinction des idées et des projets, omniprésence de la soif quasi-mafieuse de pouvoir. Ecologie ? Sale temps pour la planète. Et je laisse de côté les migrants, l’islam, Daech, la violence, les guerres en cours, les guerres à venir, …. Franchement, il est dans quel état, le monde ? Ceux qui causent dans le poste ne sont visiblement pas de ce monde-là. Ils doivent péter de trouille en envisageant le jour où les yeux des foules s'ouvriront.

Car il faut rester optimiste, se cramponner au "tout va bien, nous avons les choses bien en main". Alors exterminons les oiseaux de mauvais augure. Mettons à mort le messager porteur de mauvaise nouvelle. A la lanterne, les lanceurs d’alerte. On peut compter sur Daniel Lindenberg et Gisèle Sapiro pour leur passer le nœud coulant. 

Je ne remercie pas Le Monde d'avoir donné la parole à deux faussaires, tout en faisant mine d'apporter sa contribution à un grand "débat de société". Qui peut encore croire que c'est le discours des « néoréacs » qui domine toute la scène intellectuelle ? Le Monde apporte ici la preuve du contraire.

La réponse à la question du début, c'est : les « néoréacs » ont perdu. Et ce n'est pas une bonne nouvelle.

Voilà ce que je dis, moi.

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jeudi, 07 janvier 2016

CHARLIE HEBDO : DOUZE MOIS !

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In Memoriam CABU, WOLINSKI et LES AUTRES. 

« Vous qui voyez la lumière,

De nous vous souvenez-vous ? »

"Pensées des morts", Lamartine, Georges Brassens.

 

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Frédéric Boisseau, Agent d’entretien.

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Franck Brinsolaro, Policier du Service De La Protection (SDLP).

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Jean Cabut, dit Cabu, Dessinateur.

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Elsa Cayat, Psychanalyste et Chroniqueuse.

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Stéphane Charbonnier, dit Charb, Dessinateur et Directeur de Charlie Hebdo.

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Philippe Honoré, Dessinateur.

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Bernard Maris, Economiste et Journaliste.

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Ahmed Merabet, Policier.

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Mustapha Ourrad, Correcteur.

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Michel Renaud, organisateur à Clermont-Ferrand d’une exposition de dessins de Cabu, à qui il les rapportait un certain 7 janvier.

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Bernard Verlhac, alias Tignous, Dessinateur.

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Georges Wolinski, Dessinateur.

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Que des gens à peu près normaux, quoi !

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« Oui mais jamais au grand jamais

son trou dans l'eau ne se refermait :

cent ans après, coquin de sort,

il manquait encore. »

(cliquer pour 5'46" de chaleur)

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Ce n'était déjà pas joli, le défilé (en fait, 10 minutes avant de s'esbigner) de chefs d'Etat, le 11 janvier 2015, en hommage à des gens qui vomissaient, sur tous les pouvoirs en place, leurs mots et leurs traits, mais les plaques solennellement dévoilées par notre guignol présidentiel, et avec la grotesque componction et l'imbécile raideur dans lesquelles il aime tant se draper, c'est vraiment très moche. Et je ne parle pas du Y au nom de Wolinski. Il n'a pas vu, Hollande, que c'est marqué "Pas touche !" ? Non : cet homme n'a pas le sens du sacré.

Et ce d'autant plus que, plus le temps passe, plus on découvre que les services de renseignement français ont salement merdé : voir Le Canard enchaîné du 6 janvier sur la disparition du PV mentionnant la présence de Kouachi devant Charlie Hebdo, qui venait en repérage trois mois avant les attentats. Ils font koua, dans leurs bureaux, les flics ? Ils grattent du papier ?

C'est le même Hollande qui, quand il va en Arabie Saoudite, passe l'honneur de la France au kärcher pour que les Arabes lui achètent le plus possible de ses joujoux militaires, en fermant les yeux sur les décapitations, le wahabisme (la frange la plus rétrograde et rigoriste de l'islam sunnite) et la condition faite aux femmes. Et le lendemain, il n'éprouvera nulle honte à en appeler aux "Valeurs de la République". Mais qui peut croire sérieusement à ces "valeurs", quand elles sont proclamées par ce fantoche qui vire à tous les vents ?

Et pendant ce temps, Valls s'assied bonnement sur l'état de droit quand il annonce tranquillement que la démocratie n'en a plus pour longtemps, puisqu'il prépare activement l'installation d'un Etat policier et d'une société de la peur en lieu et place de la République française, en transférant toujours plus de pouvoir de la justice et des juges vers la police et les préfets, au prétexte qu'il faut "lutter contre le terrorisme". Tout en faisant mine de s'inquiéter de la "dérive autoritaire" en cours en Pologne. Les Français sont massivement d'accord, du moins selon les sondages.

Si les sondages ont raison (ça arrive quand même de loin en loin, même si c'est par hasard ou par erreur), il est temps d'avoir la trouille.

mercredi, 09 décembre 2015

LE VINGTIÈME SIÈCLE ET LES ARTS 4/9

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LE VINGTIÈME SIÈCLE ET LES ARTS

ESSAI DE RECONSTITUTION D’UN ITINÉRAIRE PERSONNEL

(récapitulation songeuse et un peu raisonnée)

4/9 

De pouvoir (ou non) supporter la laideur.

Héritier fidèle, viscéral et obstiné de ces Lumières-là, je demeure un fervent partisan de la liberté en tout, mais, soit dit une fois pour toutes, une liberté régulée. Une liberté contenue dans des bornes. Une liberté qui accepte de se restreindre. Tout n’est pas permis à l’homme, qu’il soit un individu, une collectivité, une société, un Etat, une entreprise. Tous les désirs n'ont pas à être réalisés au prétexte que c'est techniquement possible, que l'occasion s'en présente ou parce que, « après tout, j'y ai droit ».

Même Dieu en personne n'a pas le droit de tout faire, contrairement à ce que serine le Coran (par exemple : « Décide-t-Il d'une chose ? Il Lui suffit de dire : "Sois", et elle est », sourate XL, verset 68). L’individu est doté de liberté, de désirs et de conscience, oui, entièrement d’accord, mais il est aussi socialisé, je veux dire conscient de ses limites et de ses responsabilités à l'égard de ce qui rend sa vie possible, car il reste conscient qu'il n'est rien sans son lien avec le corps social : ça lui confère des droits, mais sûrement pas rien que des ou tous les droits. Je ne suis peut-être pas qualifié pour énumérer les caractères de ce qui fait une civilisation, mais j'ai l'impression d'en avoir dessiné ci-dessus quelques traits caractéristiques.

Autant le dirigisme et l'autoritarisme (quand un autoproclamé se met à parler à l'impératif) sont faits pour maintenir l'individu dans la sujétion, la frustration, la peur et l'immaturité, autant la permissivité, le laxisme, la dérégulation à tout va, qu’il s’agisse d’un individu, d’un Etat, de l'économie ou d’une entreprise, sont des facteurs de déliaison, de morcellement de l'entité collective, d’atomisation des individus, de désagrégation du « corps social » en une infinité d'unités autonomes. Oui, pour qu’il y ait société, il y a des limites à ne pas franchir. 

Je dis cela en pensant à tous les fanatiques de la « transgression dérangeante », les adeptes de l’infraction innovante, de la provocation révolutionnaire et de l'outrage rédempteur, les casseurs de normes et de frontières et autres conformistes de l’anticonformisme, je veux dire ceux qui occupent en masse le haut du pavé de tous les terrains culturels subventionnés, de la danse au théâtre, en passant par l’opéra, la musique, la peinture et tout le reste. Toutes ces quilles que la boule impitoyable de Philippe Muray (il les traitait fort pertinemment de « Mutins de Panurge », cette formule géniale) n'a malheureusement pas réussi à abattre. Le pouvait-elle ?

Au surplus, j'ajoute que si je sais que l'intention prioritaire de l'artiste est par-dessus tout de me "déranger", de me provoquer ou de me choquer, je discerne la visée manipulatrice : pas de ça, Lisette ! Fous le camp ! Pauvre artiste en vérité qui se donne pour seul programme de modifier son public (c'était ce que voulait déjà Antonin Artaud, avec son "théâtre de la cruauté", Les Cenci et tout ça ... On a vu comment il a fini. Dire qu'il fascinait les élites culturelles !).

Pauvre artiste, qui se soucie moins de ce qu'il met dans son œuvre que de l'effet qu'elle produira : l'œuvre en question est ravalée au rang de simple instrument de pouvoir. Mégalomanie de l'artiste à la mode (c'était quand, déjà : « Sega, c'est plus fort que toi » ?), ivresse de puissance et, en définitive, un pauvre illusionniste qui s'exténue à chercher sans cesse de nouveaux « tours de magie » pour des gogos qui applaudissent, trop heureux d'y croire un moment, avant de retomber dans la grisaille interminable « d'un quotidien désespérant » (Brassens, "Les Passantes"). Après tout, ça leur aura "changé les idées" !

Je préfère que l'artiste ait le désir, l'énergie et le savoir-faire de créer à mon intention une forme qui me laisse libre de l'apprécier à ma guise. C'est ce que formule Maupassant dans la préface à son roman Pierre et Jean : « En somme, le public est composé de groupes nombreux qui nous crient : "Consolez­-moi. Amusez­-moi. Attristez-­moi. Attendrissez­-moi. Faites­-moi rêver. Faites-­moi rire. Faites­-moi frémir. Faites­-moi pleurer. Faites­-moi penser." – Seuls, quelques esprits d'élite demandent à l'artiste : "Faites-­moi quelque chose de beau, dans la forme qui vous conviendra le mieux, suivant votre tempérament" ». C'est parler d'or.

Voilà un programme qu'il est bon, nom de Zeus ! Je vois bien la contradiction : faut-il que l'artiste se retire dans son laboratoire pour peaufiner son grand œuvre sans se soucier de sa réception ? Faut-il qu'il cherche à plaire, à impressionner, en pensant à un public précis sur la plasticité et la réceptivité duquel il sait qu'il peut compter ? Il y a dilemme : y a-t-il pour autant incompatibilité ? J'essaie de répondre à la question dans un très prochain billet.

Vouloir agir sur le spectateur, c'est une intention de bas étage, de bas-côté, et même de bas-fond (au point que : « ... à peine si j'ose Le dire tellement c'est bas », Tonton Georges, "L'Hécatombe"). La création d'une forme, c'est une autre paire de manches. Les "transgresseurs" sont finalement des pauvres types, des médiocres, des minables destinés à disparaître au moment même de leur épiphanie. 

Pour revenir à l'atomisation du corps social, je signale accessoirement que faire des individus autant d’entités autonomes, dégagées de tout apparentement est une visée propre à ce qu’on appelle le totalitarisme. Si on n’y est pas encore, on n’en est pas loin. Le totalitarisme, tout soft, invisible et sournois qu’il soit, dont est imprégnée à son insu  notre démocratie (acharnée à nier et refouler cet inconscient-là) ; la frénésie et l’enthousiasme technicistes qui ont fait de l’innovation le seul idéal social encore agissant ; l’ultralibéralisme économique qui instaure la compétition comme seul horizon collectif et la marchandise comme unique accomplissement individuel, voilà, en gros, les  trois facettes de notre condition humaine qui ont fini par se fondre dans mon esprit en un tout où l’humanité de l’homme n’a plus sa place. Inutile de le cacher : c’est une vision pessimiste. 

Le pire, c’est que ce sont toutes les conditions de la vie collective qui me sont alors apparues comme affreuses. Ceci est assez difficile à exprimer en termes clairs : j’ai eu l’impression (fondée ou erronée, va savoir ...) d’acquérir progressivement une vue globale de la situation imposée à l’humanité par la « modernité ». J’ai acquis la conviction que les formes de ce qu’on appelle depuis plus de soixante ans l’ « art contemporain » ne sont pas une excroissance anormale de leur époque mais, au contraire, leur corollaire absolument logique. La même logique qui fait que l'arbre produit son fruit, et que l'Allemagne en crise produit Hitler. Eh oui, la difformité et l'aberration sont elles aussi produites, et ne sortent pas de nulle part.

Qui adhère avec enthousiasme à l’époque, est logiquement gourmand d’art contemporain, de musique contemporaine. Qui est rebuté par l’art contemporain, en toute logique, devrait diriger sa vindicte contre l’époque dont celui-ci est issu. J’ai mis du temps, mais j’ai fini par y venir. C’est alors que le processus de désaliénation (désintoxication si l’on veut) a pu s’enclencher : qui n’aime pas l’époque ne saurait aimer l’art qu’elle produit. Le lien de cause à effet est indéniable. Moi, je croyais aimer l’art de mon temps parce que je voulais être de mon temps. C’était décidé, il le fallait. 

L’art contemporain découle de son époque. Tout ce qui apparaît minable dans l’art contemporain découle logiquement du minable de l’époque qui le produit. Ce n’est pas l’art qui pèche : c’est l’époque. Nous avons l’art que notre époque a mérité. Quand laMCCARTHY PLUG.jpg laideur triomphe, c’est que l’époque désire la laideur : le vert « plug anal » géant de Paul McCarthy en pleine place Vendôme, précisément la place de Paris où sont fabriqués et exposés parmi les plus beaux, les plus précieux bijoux du monde, est logiquement produit par l’époque qui l’a vu naître. Les extrêmes – le sublime et la merde –  se tiennent par la barbichette (que le sublime qui n'a jamais tiré la barbichette du merdique avance d'un pas, tiens, il va voir !). Quand il y a neuf « zéros » après le « un » de la fortune, la merde et le diamant se valent. On croit deviner que c'est en toute logique que le bouchon d'anus (sens de "plug") de M. McCarthy suscite l'émoi "esthétique" de la dame qui porte la présente bague (à propos de bague, cf. l'autrement élégante histoire de "L'anneau de Hans Carvel", qu'on trouve chez Rabelais, Tiers Livre, 26, qui donne une recette infaillible à tous les maris qui ne supportent pas l'idée que leur épouse les fasse un jour cocus).

MC VAN CLEEF.jpgPaul McCarthy est l’humble serviteur de son temps : son œuvre est le revers infâme de la médaille dont la maison Van Cleef & Arpels (ci-contre) décore si luxueusement l’avers. Paul McCarthy est un artiste rationnel : il ne fait que tirer les conclusions qu’on lui demande de tirer. Son message ? "Parlant par respect", comme dit Nizier du Puitspelu dans son très lyonnais Littré de la Grand’Côte, quand il définit des mots et expressions "grossiers" : « Vous l’avez dans le cul ». 

Mais si l’on admet que c’est l’époque qui produit cet art déféqué, c’est moins l’art qui est à dénoncer que l’époque qui l’a vu et fait naître, tout entière. De fait, ce n’est pas seulement l’art contemporain, la musique contemporaine, c’est le 20ème siècle dans son entier qui m’est devenu monstrueux. J’ai compris que Günther Anders avait raison : au 20ème siècle, l’humanité a commencé à méticuleusement édifier la laideur d'un monde d’une dimension telle que nulle force humaine n’était plus en mesure d'en comprendre le sens, encore moins d’en contrôler la trajectoire, et encore moins d'y vivre heureux.

Et le raisonnement qu’il tient à propos de la bombe atomique s’applique à tous les autres aspects du « Système » mis en place : c’est le bateau Terre qui, faute de pilote, est devenu ivre. 

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 20 novembre 2015

I’M A POOR LONESOME COWBOY

 

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LUCKY LUKE CONTRE JOSS JAMON (N°11)

Ce "Lucky Luke" est le seul (de Morris et Goscinny !) où l'on voit à la fin le héros marcher vers le soleil couchant en dirigeant Jolly Jumper vers la gauche de l'image : je n'en tire aucune conclusion.

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Oui, je suis vraiment, et plus que jamais, de ce pays.

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Ici, un lien vers la liste complète des victimes des attentats de vendredi 13 novembre (merci à Mediapart).

Lisez les 123 noms (sur 129) les uns après les autres.

Dites ces mots : "Leur vie" et retenez vos larmes, si vous pouvez (Aragon + Brassens, 3'32").

 

lundi, 02 novembre 2015

LE PS DANS LA NASSE

Le Front National, c’est entendu, est un épouvantail, un grand diable exotique (exogène, allogène, hétérogène, bref : métèque). C’est une créature bizarre : il est né sous nos climats tempérés, la loi le considère comme « un parti comme les autres », puisqu’il n’est pas interdit. Pourtant, tout le monde bien-pensant le considère comme foncièrement inassimilable : « Nous ne sommes pas de cette pâte-là ! », s’insurge chacun quand on lui fait grief de « faire le jeu du Front National » (Michel Onfray est le dernier à avoir reçu cette foudre jupitérienne et médiatique : même pas mal). 

Le désespoir des « partis de gouvernement » (je pouffe) est palpable. Ceux-ci se gardent bien de présenter les choses de cette manière pour le moins désagréable : ils retournent ce désespoir en fureur contre le Front National et tous ces fameux complices, qu’ils s’empressent d’accuser d’en « faire le jeu ». Tout est de la faute du Front National, on vous dit.

Je l’ai dit ici il y a un certain temps : au pays des lilliputiens, les nains sont rois. Au pays des minables, les moins que rien règnent. Pour parler clair, le Front National, à toutes les élections, serait toujours aussi microscopique, et se traînerait toujours autour de 5 ou 6% (en gros : existerait à peine) si deux facteurs n’avaient constamment tout fait pour qu’il n’en fût rien. D’une part, le fait qu’il ait été cyniquement instrumentalisé par François Mitterrand (et successeurs) pour torpiller la droite (après avoir torpillé le Parti Communiste avec le « Programme Commun »), en instaurant de la proportionnelle, ce qui avait fait entrer quelques voyous à l’Assemblée.  

D’autre part, la médiocrité superlativement crasse de la classe politique française, ajoutée au verrouillage, depuis quarante ans, de toute la vie politique française par deux partis organisés militairement et féodalement pour tuer dans l’œuf toute tentative innovante de faire de la politique autrement : Pierre Larrouturou, Nicolas Dupont-Aignan et d’autres en savent quelque chose, pour avoir été impitoyablement relégués dans les marges, autrement dit les ténèbres extérieures, parce que. 

Ces deux partis font semblant de se livrer une guerre de tranchées : dans le bocal, tout le monde se connaît, se tutoie, s’invite à dîner. Ils ne sont pas là pour la France : ils sont là pour soigner la carrière. Et ils sont là sinon depuis toujours, du moins depuis qu’ils sont sortis des Ecoles. La réalité de tout le monde, ils ne connaissent que par ouï-dire ou sur dossier.

D’où les mêmes bobines depuis des dizaines d’années : comment voulez-vous que quelque chose change, si les hommes ne changent pas ? La « Promotion Voltaire » (Hollande, Royal, combien d’autres), c’était en 1980. Trente-cinq ans !!! Dites-moi qui est neuf, parmi les gens qui nous gouvernent ! Pour espérer faire changer les choses, il faut commencer par virer les hommes qui étaient chargés de s'en occuper, après leur avoir vigoureusement botté le cul (« Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit », ajoute Georges Brassens, dans "Grand-père", mais il s'agit d'un curé).

Ils n’ont pas d’idées, pas de programme. Ils naviguent à vue : les sondages leur servent de gouvernail. Ils n'ont pas de France. Leur seul horizon, c’est l’élection prochaine : la meilleure façon de n'avoir aucune perspective et de s'interdire de conduire des politiques de long terme (surtout que l'autre camp, pour bien montrer que « l'adversaire » a tout faux et fait tout de travers, s'empresse de défaire ce qui a été fait). Leur seule image de la réalité est élaborée par les sondages, les sous-fifres et un essaim de bureaucrates. Leur seul discours leur est soufflé par des experts en communication.

Leur seul programme, c’est le pouvoir pour le pouvoir. S’ils n’y sont pas, ils veulent le conquérir, s’ils y sont, ils font tout pour y rester (Jeanne d'Arc, à qui, pour la piéger, le juge demandait si elle était en état de grâce, eut cette réponse extraordinaire : « Si je n'y suis, Dieu veuille m'y mettre. Si j'y suis, Dieu veuille m'y garder »). Il résulte de ce fonctionnement mafieux la fossilisation politique de la France dans le statu quo et l’impuissance face à la réalité. 

Et l’on nous raconte à satiété que Finkielkraut, Onfray et quelques autres « font le jeu du Front National », qu’ils sont d’infâmes « réactionnaires ». Et on nous assène, contre toute vraisemblance, que « le Front National n’est pas un parti comme les autres ». Mais bien sûr que si, qu’il est comme les autres : une machine à conquérir le pouvoir, une fois soigneusement « dédiabolisé » par l'héritière. Pour y faire quoi ? Qui le sait ? Peut-être ne le savent-ils pas eux-mêmes. Mais Sarkozy, puis Hollande, savent-ils davantage ce qu’ils font ? 

Ce que je crains le plus, au sujet du Front National, c’est précisément qu’une fois au pouvoir il fasse la même chose que la mafia « UMPS », mais en pire : entre les incompétents, les abrutis, les méchants et les idéologues dont ses rangs sont composés, il y aurait du mouron à se faire. En dehors de ça, qui n’est tout de même pas rien, qu’est-ce que les « républicains » et les « socialistes » lui reprochent, au Front National ? 

Très simple : de vouloir mordre dans le gâteau, un point c’est tout. « Républicains » et « socialistes », les deux « familles » (dans l'acception sicilienne du terme) principales, jusqu’à aujourd’hui, se le partageaient entre ennemis très confraternels, et se repassaient le corbillon au gré des fluctuations et des conjonctures, avec leurs hauts et leurs bas. On se disputait en présence des micros et des caméras, mais sur le fond, on s’entendait comme d’excellents complices. Autrement dit larrons en foire. 

Alors cette histoire de « front républicain » contre le Front National ? Du côté de Sarkozy, on a tout à gagner, vu les circonstances présentes : on s’apprête à rafler la mise aux régionales. On aurait donc tort de se faire hara kiri dans les régions où l’on arriverait troisième. 

Au parti « socialiste », au contraire, on serre les fesses en attendant le désastre. On se dit que la vie n’est pas juste : d’un côté on risque d’être accusé de « faire le jeu du Front National » si l’on se maintient au deuxième tour ; de l’autre on se suicide politiquement pour six ans, si l’on fait le choix héroïque de se retirer au profit des « républicains ». Sans compter le manque à gagner (la part des indemnités que les élus reversent au parti) : les socialos n’ont pas oublié ce qu’ont coûté les dernières raclées à leur compte en banque. 

Alors : suicidé ou kollabo ? Le dilemme récemment évoqué par Le Monde (voir ici au 26 octobre) n’est pas mince. La réaction morale (fièrement martelée par Valls) mettra le parti « socialiste » complètement hors-jeu dans les régions perdues, et peut-être pour plus longtemps que promis par les échéances électorales à venir. Et laissera les mains libres à la « famille » rivale, qui se croira dès lors tout permis et pourra se goinfrer à son aise, en attendant sa future défaite. 

Et la France, dans tout ça ? Quand on a fait le tour de son paysage politique, on ne peut s’empêcher de frissonner face au champ de ruine.

Voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 25 octobre 2015

MA PETITE HISTOIRE DES RELIGIONS

Pas plus qu’on ne trouve sur Terre de peuple dépourvu de musique, on n’en trouve qui ne vénère (ou n’ait vénéré) une entité située en dehors ou au-dessus de la condition de simple mortel. Dans l’invraisemblable fatras des millions de croyances, l’Europe est le seul endroit du monde où se soit organisée ce que Marcel Gauchet appelle la « sortie de la religion » (Le Désenchantement du monde). Il dit même que c’est le propre du christianisme. Cette exception interroge. 

Pour mon compte, voici comment je raconte l’histoire. Je préviens le lecteur que je ne m’embarrasse pas de subtilités et que mon intention n’est pas d’entrer dans la complexité des choses. C’est assez dire que, en ce qui me concerne, la question est simple et le problème résolu depuis longtemps. Je ne suis pas athée, je ne suis pas agnostique : en définitive, je me fiche éperdument de la question de savoir s’il y a un dieu ou non.

Pour moi, cette question est archaïque, arriérée, démodée, dépassée, obsolescente, obsolète, passée, périmée, prescrite, rebattue, retardataire, rétrograde, vieillotte, vieille (liste alphabétique complète des synonymes de "désuet" dans la Rolls des dictionnaires de synonymes : le Bertaud du Chazaud, Quarto Gallimard).

Disons-le : la question m'est indifférente. Je la considère comme une perte de temps, voire une manière d'interdire le "bien-vivre". Pour moi, la perte de la religion constitue une avancée formidable, un perte qui s'est opérée par étapes, dont chacune marque un Progrès dans l'évolution de l'esprit humain : animisme, polythéisme, monothéisme, ont préparé l'avènement du monde sans dieu.

Remarquez, c’est peut-être ça, l’athéisme. Le milieu familial était pourtant éminemment favorable. : du côté paternel de la famille, des croyants par convention sociale, par tradition. On respecte la soutane, je veux dire l'uniforme et l'institution. Du côté maternel, des croyants par conviction profonde, entre un grand-père pétri d'une foi intense, un oncle prêtre au charisme époustouflant et une famille longtemps engagée dans l'action catholique. 

A cet égard, je ne suis pas un héritier. Je me souviens encore comme si c'était hier : j'avais six ou sept ans. Je revois le visage bouleversé, effaré de la Sœur qui me faisait le catéchisme, brave femme de la congrégation de Marie Auxiliatrice, à Lyon (c’était rue Ney, la petite salle avait un vitrail pour fenêtre, et donnait sur une cour arborée), quand je lui ai dit que je ne comprenais pas, mais alors complètement pas, comment un homme qui était mort puisse redevenir vivant. Mon esprit ne pouvait l'admettre.

Déjà un foutu rationaliste, très tôt désencombré. Le visage tout à fait décomposé, elle avait fiévreusement recommencé, tentant de renouer le fil de son discours. A la fin, elle m’avait posé une question du genre : « Et maintenant, ça va ? ». Je n'avais pas envie qu'elle recommence, alors je l’avais rassurée. Elle s’était bien gardée de me demander si j’étais sincère ou non : son soulagement faisait tellement plaisir à voir. Elle avait rétabli l'ordre dans ses pensées. Je ne voulais pas la contrarier.

« Homo sapiens » apparaît il y a 200.000 ans (environ). C’est autour de 100.000 ans qu’on trouve les premières tombes et les premiers rites funéraires. C'est dans ce moment que je vois le surgissement décisif de la « conscience » et des premières interrogations sur ce qui se passe (peut-être) après la mort. La première religion est là, dans la réponse à la première question : « Brüder, überm Sternenzelt, muss ein lieber Vater wohnen », chante Beethoven à la fin de la Neuvième. Une pensée somme toute primitive. Ce qui a permis l'émergence de la conscience ? Je n'en sais rien. Probablement une conformation nouvelle du cerveau ? Une "couche" plus élaborée du cortex ?

La première religion est la première manifestation observable de la conscience. Elle est une possibilité offerte par l’évolution biologique décisive ouverte par la station debout, le talon, le pouce opposable, le bassin le plus propre à porter la colonne vertébrale, donc le plus apte à la bipédie, le développement de l’encéphale vers l’arrière. La première religion est une opportunité liée à l'évolution de l'espèce humaine en direction de ce qu'elle est aujourd'hui. Une opportunité saisie par homo sapiens, le plus "évolué" jusqu'à ce jour de tous les êtres vivants.

Je passe sur ce qui caractérise les croyances primitives, l’animisme et tout le bataclan des esprits recelés par les choses, par les animaux, par le cosmos, par les morts. Je crois que le record en la matière est détenu par le « Shintô » japonais, qui voyait un « kami » dans chaque pierre, dans chaque ruisseau, et qui fait du « ciel » un faubourg plus peuplé que la surface de la terre.  

Je passe sur la distinction qu’il faudrait faire entre les différentes façons de croire, les différentes institutions que l’homme a élaborées pour les pérenniser, les différentes atrocités que la plupart des religions ont infligées à ceux qui avaient eu le tort d’en adopter d’autres. Le vrai croyant est persuadé de détenir LA VÉRITÉ. La seule, l'ultime, la suprême. Le problème, c'est qu'il n'est pas le seul à penser ça.

Il n'y a pas place pour deux VÉRITÉS absolues. Entre vrais croyants de deux dieux différents, c'est forcément, inéluctablement la guerre. L’œcuménisme est une illusion, un mensonge, une preuve de frilosité dans la foi. Si j’étais catholique par foi (et pas seulement par culture), je lancerais une croisade contre les infidèles. J'élèverais des bûchers. Je conduirais la guerre sainte. Je tuerais au nom de mon dieu à moi. J'abrogerais l'Edit de Nantes. J'ordonnerais la Saint-Barthélémy. L'intolérance radicale est l'âme de la foi. La tolérance en montre l'abandon.

Ma bible à moi a été écrite par Georges Brassens. Elle commence par ces mots : « Mourir pour des idées, l’idée est excellente. Moi j’ai failli mourir de ne l’avoir pas eue ». Je n'ai pas failli mourir, mais, comme Tonton Georges, je n'ai pas eu l'idée non plus. Etant entendu que, par commodité, je range toute croyance sous l’étiquette fourre-tout des « idées ». Et vice-versa. 

On peut citer aussi Cioran : « En elle-même toute idée est neutre, ou devrait l’être ; mais l’homme l’anime, y projette ses flammes et ses démences ; impure, transformée en croyance, elle s’insère dans le temps, prend figure d’événement : le passage de la logique à l’épilepsie est consommé … Ainsi naissent les idéologies, les doctrines, et les farces sanglantes » (c’est l’incipit du Précis de décomposition). Il a raison. 

Le problème d’une idée n’est pas dans l'idée même, mais dans l’adhésion qu’elle suscite chez celui qui l'a : quand on adhère à une idée, on fait corps avec elle. S’en prendre à elle, c’est attaquer la personne qui la professe, parce qu’elle s’y confond, s’y identifie. Il y a coalescence. Un peu de distance entre soi et l’idée, autrement dit un peu de tiédeur (et même beaucoup) dans la croyance : voilà la solution. Le remède est dans le circuit de refroidissement. Car la croyance est un moteur à explosion.

Ce qui m’occupe ici, ce n’est pas le contenu des croyances, mais leur évolution dans le temps. Je dirai donc que je tiens ce qui s’est passé en Europe chrétienne dans les cinq siècles passés - la grande déchristianisation - pour un Progrès décisif de l’esprit humain. S'il y a Progrès, il réside dans le passage de la croyance dans le pouvoir des choses, à l'invention d’un Panthéon où chaque dieu est spécialisé. Puis dans le passage de ce polythéisme au monothéisme : attribuer à un dieu unique la création du monde. 

Le dernier Progrès se situe au moment où La Fontaine peut écrire cette maxime fameuse devenue proverbe : « Aide-toi : le ciel t'aidera ! », qui signe désormais la méfiance de l'homme envers la divine providence. Où l’homme se dit qu’après tout, il n’a pas besoin de la béquille religieuse, et qu’il est capable, en s’appuyant sur la raison, de se débrouiller tout seul. La raison est un outil tellement perfectionné que ça devrait pouvoir aller. Un croyant me dira que cette confiance (cette croyance) dans la raison est démesurée, outrecuidante et vouée à l’échec. Il n’aura pas complètement tort. La bêtise scientiste a fait assez de dégâts. Il y a aussi des rationalistes fanatiques. 

La confiance dans la raison doit donc elle-même se montrer mesurée. Pour tout dire, elle doit faire preuve de tiédeur. Il lui faut un circuit de refroidissement, car la raison ne comprend pas tout, n'explique pas tout. Je laisse quant à moi le mystère où il est, de même que je laisse soigneusement intacts, sans angoisse, les points d'interrogation. Il est des questions qui n'ont pas de réponse. La recherche personnelle, oui, la quête, d'accord, mais la réponse à tout prix aux questions existentielles : NON !

Là encore, l’adhésion enthousiaste (ceux qui veulent à tout prix coller une réponse après le point d'interrogation) se révèle catastrophique. Je pense ici au courant « transhumaniste » qui rêve de marier l’homme et la machine. Dans tous les cas, l’adhésion enthousiaste est mauvaise conseillère. 

Pire : elle rend aveugle. Comme l’amour, mais en pire. 

J’ai donc Foi dans la Raison, mais une Foi corrigée, modérée, refroidie par le doute. Un doute qui me fait penser à cette géniale nouvelle ("Le Crack") de Paul Fournel, dans Les Athlètes dans leur tête (Ramsay, 1988) où il évoque la façon dont Jacques Anquetil, le champion magnifique (« ... qui était en machine l'homme le plus beau, le plus élégant qu'ait jamais compté un peloton ... »), concevait le vélo : « L'ensemble surmonté d'une tête de chef d'entreprise masochiste, sadique, rusé, gentil ; avec le pouvoir d'aller chercher si profond au bout de soi et de ses forces, avec, enfin, un trait de caractère que je n'ai jamais eu et que je n'aurai jamais : un certain dégoût pour la bicyclette et une tendance très accusée à la laisser au garage plutôt que de s'entraîner ». "Un certain dégoût" pour la religion qu'il professe, c'est ce que devrait éprouver tout curé. Tout croyant. Ce qui s'appelle être raisonnable. La possibilité d'une sagesse. 

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 09 octobre 2015

LA LAÏCITÉ ? ELLE EST MORTE !

Ah, la loi de 1905 ! Ah, la séparation des Eglises et de l’Etat ! C’était le bon temps ! « Il est toujours joli, le temps passé, une fois qu’ils ont cassé leur pipe », chante Georges Brassens. Il a bien raison. 

Ça a commencé en 1989, dans je ne sais plus quel collège de la région parisienne, quand deux collégiennes ont prétendu assister aux cours coiffées de ce qui est devenu par la suite « le voile islamique », et que le principal le leur a interdit. 

Certains diront que la remise en question de la laïcité « à la française » remonte à 1947, c’est-à-dire à la création de l’Etat d’Israël dans un territoire qui, depuis, n’a plus connu la paix. C’était d’une part un conflit entre juifs et musulmans, et à l’époque de la traction avant, la France était uniquement peuplée de gens à la peau blanche. 

Cela a bien changé. D’une part, la guerre continue en Palestine et n’est pas près de finir, et d’autre part la peau moyenne de la population dite française a commencé à tirer vers le bistre et, dans certains endroits (Gagny, 93), l’usager du métro croirait débarquer à Bamako. Par le fait même, la France a importé des gens habités d’une religion étrangère à l’Europe, si l’on excepte quelques ilots balkaniques (et encore : en matière d'islam "modéré", les Bosniaques s'y connaissent mieux que personne).

 Résultat de toutes les évolutions, la France n’est plus un pays laïc. Je n’exagère pas : jamais les religions n’ont occupé autant de surface dans les journaux et de temps sur toutes les antennes. L’espace public subit objectivement une occupation dont la France déchristianisée n’a plus rien à faire depuis 1905. 

En 1883, c’est bien ainsi qu’Ernest Renan envisageait la question. Ainsi, il écrit, dans ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse : « La croyance ou l’opinion des uns ne saurait être une chaîne pour les autres. Tant qu’il y a eu des masses croyantes, c’est-à-dire des opinions presque universellement professées dans une nation, la liberté de recherche et de discussion n’a pas été possible. Un poids colossal de stupidité a écrasé l’esprit humain. L’effroyable aventure du moyen âge, cette interruption de mille ans dans l’histoire de la civilisation, vient moins des barbares que du triomphe de l’esprit dogmatique chez les masses.

         Or c’est là un état de choses qui prend fin de notre temps, et on ne doit pas s’étonner qu’il en résulte quelque ébranlement. Il n’y a plus de masses croyantes ; une très grande partie du peuple n’admet plus le surnaturel, et on entrevoit le jour où les croyances de ce genre disparaîtront dans les foules, de la même manière que la croyance aux farfadets et aux revenants a disparu. Même, si nous devons traverser, comme cela est très probable, une réaction catholique momentanée, on ne verra pas le peuple retourner à l’église. La religion est irrévocablement devenue une affaire de goût personnel. Or les croyances ne sont dangereuses que quand elles se présentent avec une sorte d’unanimité ou comme le fait d’une majorité indéniable. Devenues individuelles, elles sont la chose du monde la plus légitime, et l’on n’a dès lors qu’à pratiquer envers elles le respect qu’elles n’ont pas toujours eu pour leurs adversaires, quand elles se sentaient appuyées ». 

Je passe sur l’ « interruption de mille ans » : Renan n’avait pas lu Pour en finir avec le moyen âge, de Régine Pernoud (1977). 

Pour le reste, le fait que les médias ne cessent de nous harceler de questions religieuses et en particulier, de façon obsessionnelle, de refrains musulmans, rend l’air ambiant tout à fait irrespirable. Cette omniprésence du débat autour de la place de l’islam en France, pour un esprit imprégné de laïcité, est carrément insupportable. La concurrence victimaire que juifs et musulmans se livrent sur le territoire national (islamophobes contre antisémites) est carrément obscène. 

Et les Edwy Plenel (auteur de Pour les musulmans) qui jouent les Docteur Folamour de l’idéologie dominante aveuglent tout simplement l’opinion publique sur ce qui est en train de se passer : l’enterrement honteux et en toute petite pompe de la loi de 1905. Ce qui se passe n’est pas une évolution : c’est une révolution. Un bouleversement de l’identité française et européenne.

Tant que la croyance des musulmans qui vivent en France ne se réduira pas à la sphère purement individuelle, tant que les musulmans, en tant que tels, ne se seront pas rendus complètement invisibles dans le paysage, comme le sont les catholiques et les protestants (et les juifs à un moindre degré) la France devrait se considérer comme agressée. 

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 01 octobre 2015

SIMENON : QUELQUES MAIGRET

Je viens de me taper une série de Maigret et, pour parler franchement, je fatigue. Je finis par trouver que les décors, les personnages, l’atmosphère, les histoires elles-mêmes sont recouverts d’une couche de poussière (« L’homme n’est que poussière, d’où l’importance du plumeau », disait Alexandre Vialatte). Somme toute, une littérature vieillotte, des romans en pantoufle. Quand je dis « une série », ça veut dire une petite vingtaine. 

Eh bien tout compte fait, je me dis que ce commissaire, je l’ai assez vu, et qu’il commence à m’ennuyer. C’est sûr, c’est bien huilé, tout est rangé au cordeau, les pipes sur le bureau, le haricot de mouton de Mme Maigret pour midi, les repas réguliers et alternés du couple chez les Pardon, le juge Coméliau, le jeune Lapointe, le solide Janvier, la brasserie Dauphine, les petites voitures noires de la PJ dans la cour, etc... 

Je vais vous dire, si les romans estampillés « Maigret » étaient un bistrot, c’en serait un réservé aux seuls habitués, éclairé par une lumière blafarde : au bar, les accoudés marchent au p'tit blanc en échangeant leurs banalités quotidiennes ; au fond à droite, les retraités assis à leur table attitrée, jouent sans joie à la belote avec des cartes trop fatiguées. Les Maigret sont les romans de la routine. Seul change, d’un livre à l’autre, la classe sociale, le milieu professionnel, éventuellement le dispositif narratif (Une Confidence de Maigret, où le commissaire raconte au docteur Pardon la façon dont il avait abordé une certaine affaire, mais tout ça est laborieux). 

* Maigret et le clochard (Noland (Vaud), mai 1962) 

Les deux bonnes idées de cet épisode, c’est de faire un clochard d’un ancien médecin doué, mais trop altruiste et, qui plus est, mal marié (son épouse a fait un héritage fabuleux, qui lui permet de se propulser dans les plus hautes sphères de la société), et de laisser sciemment (pour un motif mal explicité : de vagues considérations sur le partage de la culpabilité par la victime et son bourreau) échapper le coupable de l’agression. Cela se passe dans le milieu des mariniers, que Simenon affectionne. 

* Maigret et le Fantôme (Noland (Vaud), juin 1963) 

C’est une histoire de grand banditisme et de trafic de fausses œuvres d’art, soigneusement camouflée sous la banalité des aventures de l’inspecteur Lognon, plus connu sous le sobriquet d’ « Inspecteur Malgracieux », qui s’est malheureusement trouvé sur la trajectoire d’une balle de gros calibre. Rassurons-nous, Lognon survit. Il aura même (enfin !) son nom dans le journal et tout le mérite d’avoir déniché l’affaire. Mais aussi qu’est-ce qui lui a pris, de mener tout seul une telle enquête ? Qu’est-ce qui lui a pris de squatter le logement d’une jeune femme pour surveiller la maison d’en face ? Qu’est-ce que ça donne du boulot à Maigret. Mais celui-ci ne lui en veut pas. Après lecture, le titre devient capillotracté.

* Maigret se défend (Epalinges (Vaud), juillet 1964) 

Ah voilà un Maigret qui nous sort de la routine. Convoqué chez le préfet, Jules Maigret se voit signifier qu’il est soupçonné d’avoir attenté à la pudeur d’une jeune fille. Pas n’importe quelle jeune fille : la propre fille d’un député connu, et le préfet est dans ses petits souliers. Appelé par elle en urgence chez lui, au milieu de la nuit, le commissaire s’est efforcé de lui venir en aide au mieux, et voilà que la donzelle le dénonce par écrit, dans une déposition en bonne et due forme : au cours de la nuit, il aurait eu à son égard des gestes odieux, sans toutefois aller jusqu’à abuser d’elle. 

Le lecteur se dit évidemment que c’est tout sauf plausible. On voit mal le bonhomme se lancer dans le détournement de mineure. Maigret, lui, y voit une machination montée par quelqu’un qui a intérêt à le voir sorti du circuit, sans doute à cause de son flair et de son obstination. Il trouvera la personne en question, qui avait réussi à circonvenir la demoiselle, voire à la suborner. 

Ce qui est curieux, c’est que le récit se poursuivra et s’achèvera sans donner aucune nouvelle de la fille, dont il se désintéresse totalement. Une bonne idée, donc, mais inaboutie, voire sabotée, faute d’approfondissement technique. De même que Serge Gainsbourg est un chansonnier flemmard, qui regorge d’idées qu’il ne développe pas, Simenon est un romancier paresseux. 

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Agenda de Georges Simenon.

Ça n'était pas lié à une incapacité. C'était indissociable d'une méthode tout à fait concertée. Quand on se programme sciemment les sept jours d'une semaine d'octobre 1966 pour écrire Le Chat (cf. Gabin-Signoret), on sait très concrètement qu'on n'écrit pas pour l'éternité.

Voilà ce que je dis, moi.

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Petit additif qui n'a rien à voir : Mme Morano déclare : « La France est un pays de race blanche ». Aussitôt dit, « Grand branle-bas dans Landerneau » (Georges Brassens, "A l'ombre du cœur de ma mie"). Il paraît que la dame est coutumière de bourdes grossières et de provocations qui ne le sont pas moins. Mais quand même, sans abonder dans la provoc, il est clair qu'elle n'a pas complètement tort. J'en veux pour preuve le terme injurieux que j'ai entendu plusieurs fois utilisé par des jeunes à la peau plus ou moins foncée : 

« Espèce de Fromage Blanc ! ».

Voir du racisme dans l'arrière-pensée de Nadine Morano n'est pas à exclure, mais ça ne doit pas aveugler sur le racisme très habituel et banalisé qu'on trouve dans des populations que les bonnes âmes appellent, la main sur le cœur, à ne pas « stigmatiser ».

jeudi, 30 juillet 2015

UN ZESTE DE VIALATTE

 

littérature,alexandre vialatte,chroniques de la montagne,chroniques des grands micmacs,ferny bessons,éditions fayardC’est l’été. Il est temps de rouvrir les Chroniques de Vialatte. Et pour commencer, Chroniques des grands micmacs, amoureusement choisies par Ferny Besson (Fayard, 1989, je suppose que Ferny, c'est plus glamour que la Fernande qu'a chantée Georges Brassens). Première leçon : l’art du paragraphe. 

« Chronique des grands progrès et des mauvais conseils. 

Quand le soleil, il n’y a pas si longtemps, se levait sur l’océan indien, il éclairait un petit bateau commandé par Henry de Monfreid, alors âgé de quelque quatre-vingts ans. Le petit mousse en avait soixante-dix. C’était un vieillard madécasse. Monfreid l’avait choisi lui-même. Ce septuagénaire maritime était sourd comme un pot. Il n’entendait pas le vent. C’était d’ailleurs sans importance. Il n’eût su dire, de toute façon, d’où il venait, ignorant toute géographie, toute marine et tout point cardinal. Il ne distinguait pas entre le nord et le sud. Peut-être savait-il faire la soupe. La tempête s’empara de tout ça, le lança à dix mètres de haut, le rattrapa au creux de la vague, le renvoya aux cieux, le battit, le pétrit, le roula, le massa, le secoua, le boxa, l’étira et le rasa. Sur quoi les ténèbres tombèrent. Au bout de huit jours, quand le soleil revint, le petit mousse n’avait rien entendu, et le bateau continuait sa course sur la vaste étendue des mers.»

Qu'est-ce que vous dites de ça ? Et pour lier avec l'idée qui va suivre, Vialatte soigne la transition : 

«C’est ce qui prouve qu’il n’y a plus de vieillards. Les journaux confirment la chose. Le vieillard d’aujourd’hui ne connaît plus sa force. »

Alexandre Vialatte, La Montagne, 10 décembre 1967.

Plus loin, dans le même article, on trouve cette phrase magnifique, après l’évocation de Sabor V, un robot qui sait tout faire, y compris se gratter l’omoplate, boire et fumer : « Bref, s’il n’y avait pas l’homme, ce serait un grand progrès ». Tout est dit.

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 16 juillet 2015

BANDE DESSINÉE : GOLO & FRANK

FEUILLETON GREC

L'Europe institutionnelle, l'Europe des Traités est, face à la Grèce, en train de faire du plagiat. Le trio allemand Schäuble-Gabriel-Merkel, la folie guerrière en moins (quoique ...), est une réplique du trio néo-conservateur de sinistre mémoire, Bush-Cheney-Rumsfeld (n'oublions pas Wolfowitz), à qui nous devons le chaos actuel au moyen Orient. Il est à craindre que la folie bureaucratique de Schäuble-Gabriel-Merkel aboutisse, en Grèce et en Europe, au même genre d'instabilité généralisée, avec tous les risques que cela comporte. Même l'ultralibéral FMI supplie les instances européennes d'annuler une partie de la dette grecque, c'est dire ! C'est au trio allemand que nous devrons les conséquences de ce fanatisme. Apprêtons-nous à dire : « Merci pour tout ! ». Je voudrais savoir en quoi la privatisation à tout va des biens publics grecs doit être considérée comme LE remède miracle.

Ne pas oublier que la marque Merkel fabrique des fusils de chasse.

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En peinture, en musique, on dira la même chose : à côté des Everest qui ont nom Rembrandt ou Delacroix, il y a, par exemple, le sympathique Monticelli, le peintre marseillais. Dans la bande dessinée, et je regrette qu’ils n’aient pas davantage produit, j’ai un penchant pour un tandem qui a fait parler de lui dans les années 1980 : celui qui tient le crayon s’appelle Golo, la plume est tenue par Frank. 

Pour la couleur du récit, on reste résolument dans le noir, le crade. Peu de chose permet de différencier le voyou du flic. Tout se passe entre les appétits de pouvoir et d’argent et les bas-fonds plus ou moins glauques (Brassens dirait « interlopes », quoiqu’il chante : « … et non dans un chou, comme ces gens plus ou moins louches »). Il y a des prolos, des arabes, des putes, des travestis, des mauvais garçons, des drogués, bref : une faune peu reluisante. 

Pour le dessin, le trait ressemble au contenu : il est sale à souhait, bien qu’il faille le rattacher à l’école de la ligne claire. Les contrastes sont accusés. Les traits des personnages sont découpés à la hache, au risque parfois de tomber dans la caricature des caractérologies de l’ancien temps, vous savez, Louis XVI décrit comme NENAS, traduction « Non Emotif, Non Actif, Secondaire », et toutes les salades du même acabit. 

Par exemple, l’un des deux tueurs, dans Les Noces d’argot, un gras chauve balourd, s’il est doté d’un psychisme rudimentaire, ça ne l’empêche pas d’être un vrai méchant, même s’il se trouve sous la coupe du petit teigneux qui mène la chasse. Il y a aussi des allumés prêts à tout pour obéir au chef de je ne sais plus quelle Eglise universelle, mais qui se font dégommer par les précédents. Il y a aussi un bâton sur lequel est gravée une formule secrète : « Aura clausa patent » (L’or ouvre ce qui est fermé). L’histoire avait commencé à paraître dans Charlie mensuel. 

Mais que Golo et Frank me pardonnent : ma préférence ne va pas aux trois épisodes des Noces d’argot (Dargaud éditeur, that’s a joke ?). Ils n’avaient qu’à ne pas commettre deux chefs d’œuvre : Ballades pour un voyou (1983) et La Variante du dragon (1989, d’abord publié dans la revue A Suivre). 

Le premier raconte une arnaque à l’assurance, montée par Jeannot (qui sort de taule) et sa petite bande. L’idée qui rend le livre mémorable a été de truffer le récit d’évocations de chansons populaires qui parlent de la débine, des voyous, de la prostitution, de la révolte, de l’amour, etc. Le scénario se paie le luxe de rester à l’arrière-plan. L’avant-scène est occupé par les personnages, je devrais dire les « figures », voire les trognes, les trombines, les caractères, tous typés de façon presque brutale. 

Trois camps s’affrontent, dont deux sont liés : la bande de blousons noirs aux insignes nazis qui tient les murs du café « Chez Riton », à qui il arrive de « travailler » pour Frankel, un juif antipathique dont la vitrine – le restaurant « Mittel Europa » – dissimule des affaires louches. Il « mouche à la pèlerine », c’est-à-dire qu’il est « protégé » par la commissaire Castagne, Marie-Aurore de son prénom. Drôle de couple, qui se livre à l’occasion à des jeux sado-maso, où la commissaire tient le fouet. Et elle chante la Marseillaise au moment où son doigt déclenche l’orgasme. 

GOLO6.jpg

Boris, le yiddish, quand il se fâche vraiment.

Face à la bande de loubards et aux flics « ripoux », la bande de copains réunie autour de Jeannot. Il y a sa copine Babet, Vlad, qui trouve le coup à faire, et puis surtout, il y a Boris, juif de même origine que Frankel, qu’il fait chanter à l’occasion, parce qu’il en sait long sur lui. Il vous taille un faux diamant plus vrai que le vrai. Et il a la rancune aussi tenace que le culot. Ce personnage est la vraie trouvaille de ce récit, qui finit par une petite scène de guerre urbaine, où Boris tire sur les flics, avant de se jeter du toit de l’immeuble. 

GOLO VARIANTE.jpgL’idée géniale qui dirige l’action dans La Variante du dragon (qui fait allusion à la « défense sicilienne », pour les connaisseurs) est d'organiser le récit sur le modèle d'une partie d'échecs. Pas n’importe laquelle : celle disputée au 16ème siècle par un certain Paolo Boï, qui a, paraît-il, gagné pas mal d’argent grâce à sa maîtrise du jeu d’échecs. Une partie où il aurait joué, dit-on, contre le diable, à cause d’un coup incompréhensible, qui donne la victoire à celui qui se croyait vaincu. 

Sainte-Croix est la tête pensante et le financier d’un vaste réseau de trafic d’héroïne. A son service, le commissaire Sissa est l’ordonnateur exécutif de la chose. D’autres personnages importants gravitent autour de ces deux-là : Won Ton Charlie, qui représente les fournisseurs de came, Andréani, Catherine, Chérif, Bigaille, Tonton et Tonton, Fianchetto. A GOLO4.jpgnoter que Golo a donné à Sainte-Croix la belle gueule de crapaud difforme de Jean-Paul Sartre, quand il finissait sa vie en grenouille tombée accidentellement du bénitier. De tels détails réjouissent le cœur de l'homme. 

Tous ces jolis cocos ont un gros souci : un petit malin s’est glissé dans le réseau et détourne à son profit toute la came, et le pognon qui va avec. Ce petit malin s’appelle Vétiver, parce qu’il a l’habitude de se parfumer à cette essence : « … un mec qui se fait des couilles en or … avec une idée, mais brillante ! ». 

Là-dessus, quinze ans après avoir quitté la place, débarque son ancienne connaissance, Evereste Puig, qui a purgé quelque part une peine dans un bagne pour on ne saura trop quelle raison, et qui a besoin de se refaire une santé. L’avantage, c’est qu’il y est devenu redoutable aux échecs. Malheureusement, il va tomber raide dingue amoureux de Catherine, face à qui il a été obligé de coucher son roi. 

Entre la drogue et les drogués, l’histoire navigue violemment d’un meurtre à l’autre, au rythme où pions et pièces se font prendre au cours de la partie. Tout est crade et impitoyable dans ce chaudron. L’histoire finit dans un bain de mort, où les moins mauvais s’en sortent. 

C'est presque une morale. Pas tout à fait quand même. 

Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 29 juin 2015

SIMULATRICE, UN MÉTIER MÉCONNU

Ce métier, c'est "simulatrice d'orgasme".

 

"Puisque ces mystères nous échappent,

feignons d'en être les organisateurs." (Jean Cocteau)

 

« Quatre-vingt-quinze fois sur cent,

La femme s’emmerde en baisant,

Qu’elle le taise ou le confesse,

C’est pas tous les jours qu’on lui déride les fesses.

Les pauvres bougres convaincus

Du contraire sont des cocus.

A l’heure de l’œuvre de chair,

Elle est souvent triste peuchère.

S’il n’entend le cœur qui bat,

Le corps non plus ne bronche pas ». 

Eh oui, c'est bien le refrain de la chanson de Tonton Georges. Au passage, et ça me fait de la peine, il faut que je signale que, si l’on n’a aucun reproche à faire à cet amoureux de la langue française, il lui est arrivé de faillir. Et c’est précisément dans cette chanson (au disque, car à la télé, il se corrige). Qu’est-ce qui lui a pris de prononcer ce « » fatal ? Il chante en effet : 

« C’est à seule fin que son partenaire

Se croie-t-un amant extraordinaire ». 

"Croire" est un verbe du troisième groupe, Tonton Georges. A la troisième personne du singulier du subjonctif présent, il faut dire "croie", Tonton Georges. Et vous le savez mieux que tout un tas de gougnafiers d’aujourd’hui. Vous commîtes ce qu’on appelle un « cuir » (cf. : « Tonton, vous vous comportâtes comme un mufle achevé, rustre fieffé, un homme du commun »). Et celui-ci traîne dans votre disque pour l’éternité ! 

Enfin, je dirai comme le pape Clément VII pardonnant à Benvenuto Cellini à la fin de l’opéra de Berlioz : « A-tout-pé-ché--miséricor-de ». Brassens a dû s’en vouloir quand il s’est rendu compte de sa bévue. Mais revenons à nos moutons, et au message principal de la chanson : la femme simule (« Les encore, les c’est bon, les continue, Qu’elle crie pour simuler qu’elle monte aux nues »). 

Et si elle simule le plaisir, c’est qu’elle ne l’éprouve pas. De mystérieux mécanismes l’empêchent de s’éclater. Les causes sont sûrement multiples. De doctes experts et d’érudits spécialistes se sont emparés du problème. On les appelle psy-quelque chose, mais aussi « sexologues ». Notons ici que l’inventivité des sciences dites humaines (je me gausse) ne connaît pas de bornes. 

Ainsi, les gens vont consulter des hommes de l’art pour s’entendre dire ce qui ne va pas chez eux. Pour apprendre qu’ils ne sont pas normaux. Il semblerait aujourd’hui que les gens cherchent des conducteurs de vies (malheureux, il faut dire « coach »). C’est sûrement mieux qu’autrefois, où ils cherchaient des directeurs de conscience. Le progrès est indéniable, n’est-ce pas. 

Drôle de confessionnal quand même. Qui en dit long sur le poids réel des normes sociales. Je note que les normes continuent à peser lourdement, alors même qu'on s'ingénie à nous faire croire complaisamment que d'indéniables progrès « sociétaux » les ont poussées constamment vers les ténèbres, les faisant valdinguer toujours plus haut, et dans un régime de libertés sans limites : les normes s’envoient en l’air, nous serine-t-on. Ça dépend lesquelles, rétorqué-je.

Digression (inspirée parATTENTAT CARRERO BLANCO.jpg l’expression précédente) : je pense à ce graffiti, sur un mur de Lyon, qui avait célébré l’attentat qui avait coûté la vie à un proche et fidèle du dictateur espagnol : « Et hop ! Franco plus haut que Carrero Blanco ». Il faut dire que l’ETA n’y était pas allé de main morte sur les explosifs : la voiture avait été projetée par-dessus le pâté de maisons, sautant à 35 mètres de hauteur. Alors oui, ça s'appelle bien s'envoyer en l'air. Hélas pour l'auteur du graffiti, Franco est mort tuyauté de partout. Fin de la digression. 

Revenons à l'orgasme simulé. Résultat du poids des normes et de l’exigence de conformité : on se sent coupable. Du coup, on a besoin de soulager sa conscience. Comme il n’y a plus de curés, il faut payer un spécialiste. Le marché se porte à merveille, merci. Merci la civilisation : les gens en sont à hésiter entre le psy et le marchand d’esclaves sexuels. 

D’un côté, on va vous expliquer votre vie de a à z. De l’autre, on va vous convaincre que le cul, c’est l’avenir. Le monde est un hypermarché pour les choses du sexe : on a l'embarras du choix. Exemple tout récent dans un organe de presse. Je ne lis pas les magazines féminins aussi intensément que Michel Houellebecq, qui dit quelque part y trouver une source insurpassable de documentation. Il m’arrive juste de feuilleter le supplément du dimanche du journal Le Progrès, en l’occurrence le « Fémina » du 21 juin, article intitulé : « Orgasme, pourquoi les femmes simulent-elles ? ». Le supplément de la PQR est rarement aussi chaud. C'est qu'avant l'été, la plage et tout ce qui va avec, une petite révision ne peut pas faire de mal.

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L’intervention est signée d’une éminente psychiatre diplômée ès-orgasme : Mireille Bonierbale. Rien qu’à voir sa photo, au moins encourageante, la femme inquiète comprend qu’elle peut lui confier sans retenue tous les problèmes qui la retiennent au moment de faire le pas qui la sépare de l'orgasme : on sent bien que rien de voluptueux ne lui est étranger. Sur l’orgasme féminin, elle sait tout, et le reste, ça se voit. Elle est présentée comme « psychiatre, éminente pionnière de la sexologie française », c’est dire. Nul ne doute de sa compétence, si elle se comporte aussi bien au lit qu'à table.

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Selon la docte dame, l’explication de la « simulation orgasmique » (du grec ὀργάω (orgaô), être plein de sève) tient à quatre causes : 1 – l’altruisme bien connu des êtres de sexe féminin (eh oui, même les psychiatres de pointe véhiculent des stéréotypes) ; 2 – la peur de passer pour une « peine-à-jouir » ou pire, une frigide (ce que la psychiatre euphémise diplomatiquement : « pour préserver son image ») ; 3 – pour que l’autre en finisse au plus vite (madame est passée tout près mais, ou alors elle s’ennuie, etc.) ; 4 – pour que la réalité vienne suppléer la fiction (c’est bien connu, à force de faire semblant, certains acteurs finissent par éprouver les passions propres au personnage). On est content d'en avoir appris autant en si peu de temps.

Et puis, au sortir de ce parcours, on est heureux pour les dames, en pensant aux 95 % de Brassens, d’apprendre que Tonton Georges exagère honteusement. C’est un rapport scientifique qui nous l’apprend : le rapport Hite, paru en 1972, qui fixe à 44 % la proportion des femmes qui simulent l’orgasme. En plus, la correction du texte ne poserait aucun problème pour le compte des syllabes. Allez, reprenez après moi : « Quarante-quatre fois sur cent, la femme ... ».

Il y a fort à parier que le taux de simulatrices bondit dans chacune des séquences qu’on trouve sur les sites porno, que c'en est pathétique, en même temps que cinématographiquement mauvais. Il y eut dans le temps une exception : un cinéaste intello (Jean-François Davy). Dans je ne sais plus lequel de ses mauvais films (Exhibition ?), une actrice (Claudine Beccarie ?) a un orgasme authentique sous l'œil de la caméra. C'est vrai que la scène était belle. Il n'y a pas à dire : on préfère l'original à la copie (comme dirait JMLP). Et la vérité à la simulation. Ou alors une bonne comédienne, à qui il arriverait tout d'un coup de se prendre au jeu.

Dans un monde de simulateurs en tout genre (d'ambiance spatiale, de vol, d'appareil photo, de conduite automobile, ...), ça laisse une chance aux vrais amoureux. Je veux évidemment parler de ceux des « bancs publics ». 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note : A propos de "peine-à-jouir", y aura-t-il une âme charitable pour m'indiquer où, dans l'œuvre du grand Reiser, se trouve la planche qui met en scène un maire au nom ciselé au burin du ridicule (que j'ai oublié, est-ce que ce serait "Masochiste" ?), qui doit marier une demoiselle de patronyme "Peine-à-jouir" à un jeune homme qui s'appelle quant à lui "Ejaculation-Précoce" ? Merci d'avance.

vendredi, 26 juin 2015

L'ISLAM NE PEUT AIMER LA FRANCE

1/2 

J’ai entendu récemment le philosophe Jacques Rancière proférer une belle connerie. Plus énorme que sa célébrité dans le milieu de son milieu. C’est à propos de l’islam (eh oui, encore !). Il disait en substance qu’il n’est pas du tout sûr que le « voile » (tchador, niqab, burka, etc.) ait une signification religieuse. Eh, tête de pomme, si toutes les filles et les jacques rancière,philosophe,philosophie,tchador,niqab,burka,religion,fanatisme,france,europe,baptême de clovis,catholique,catholicisme,edwy plenel,emmanuel todd,qui est charlie ?,empire ottoman,sublime porte,bosphore,turquie,chateaubriand,mémoires d'outre-tombe,bataille de poitiers,charles martel,bataille de lépante,croisades,l'enlèvement au sérail,l'italienne à alger,lyon,canut,nizier du puitspelu,littré de la grand-côte,laïcité,guerre de bosnie,serbie,milosevic,allah,islam,musulman,tintin,tintin au pays de l'or noir,dupont dupond,cfcm,conseil français du culte musulman,nicolas sarkozy,carla bruni,georges brassens,le pluriel brassens,boualem sansal,gouverner au nomd'allahfemmes (sans parler de la façon dont les hommes en parlent) qui se baladent en cachant leurs cheveux, voire leur visage et leurs mains, te disent que c’est à cause de leur croyance religieuse qu’elles s’habillent ainsi, qu’est-ce que tu leur réponds, gros plouc ? Et ça se prétend philosophe … Il paraît même qu'il fait autorité. Un comble.

L’islam n’a pas fini d’emmerder la France, et plus généralement l’Europe, vieux continent catholique depuis 1500 ans (Clovis). Allez, disons « continent chrétien » pour ne pas vexer les protestants, bien qu'ils aient fait beaucoup de mal au continent. Les défenseurs opiniâtres des musulmans en France (Edwy Plenel, Emmanuel Todd, ...) devraient se souvenir que, historiquement, l'hostilité a toujours existé entre islam et chrétienté. Il y a là du révisionnisme. De l'aveuglement. Voire du négationnisme.

L’islam ottoman a bien tenté, mais en vain, de s’emparer de ce continent : il a laissé des traces de son passage dans quelques pays balkaniques, mais à part le petit orteil qu’il a gardé sur la rive européenne du Bosphore, il a été prié de décamper. Je dis tant mieux. Et je suis modéré : Chateaubriand, dans les Mémoires d'outre-tombe, implore l'armée du tsar de basculer les Turcs dans le Bosphore.

Je cite pour mémoire quelques hostilités historiques : Poitiers, croisades, Lépante, siège de Vienne et autres pirateries barbaresques devenues des œuvres musicales, comme L’Enlèvement au sérail ou L’Italienne à Alger. L’histoire montre « à regonfle » (comme on disait à Lyon quand on y parlait « yonnais ») que la tradition européenne n’a que faire de l’islam. Il y a incompatibilité. Et qu'on ne me parle pas d'apprentissage de la laïcité : il faudrait encore quelques centaines d'années. Même pas sûr que ça suffirait.

L’islam qui a subsisté en Europe a mis du vin dans son Coran, comme on l’a vu lors de la guerre de Bosnie, où les musulmans du cru se foutaient allègrement de la gueule des brigadistes venus, au nom d'Allah, les soutenir contre la Serbie de Milosevic, et trinquaient au whisky pendant que les autres se prosternaient sur leurs tapis de prière cinq fois par jour. 

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Hergé était sûrement islamophobe.

Déjà qu'il était raciste (voir Tintin au Congo).

Alors y a-t-il un « islam de France » ? La réponse, absolument formelle, est « Non » ! Pas parce que la France refuse les musulmans, mais à cause de la façon même dont la religion musulmane est organisée. Car il faut que cela se sache : l’islam, par nature et dès l'origine, n’est pas organisé. Le CFCM (Conseil Français du culte musulman) est une aberration venue par ébullition intempestive dans l’un des "cinq cerveaux" de Nicolas Sarkozy (dixit Carla Bruni quand elle était "présidente"). 

L’islam, en réalité, a quelque chose à voir avec les groupuscules trotskistes. Il obéit aux lois de scissiparité et de la dialectique maoïste réunies : « Un se divise en deux ». Quand des trotskistes se retrouvaient à cinq, ils se remémoraient et se fredonnaient (en chantant faux) la chanson de Brassens : « Le pluriel ne vaut rien à l’homme et sitôt qu’on Est plus de quatre, on est une bande de cons ». Le destin du musulman, tout comme celui du trotskiste, est de mourir seul. La division cellulaire est la loi organique des groupuscules trotskiste et de l’islam. 

SANSAL BOUALEM GOUVERNER.jpgJ’exagère ? J'abuse ? Je galèje ? Bien sûr, mais il faut bien s’amuser. Plus sérieusement, au sujet de l’islam, lisez Gouverner au nom d’Allah, de Boualem Sansal (Gallimard, 2013). Vous trouverez une liste (sûrement incomplète) des courants, au nombre de quatre : 1 – Le sunnisme ; 2 – Le chiisme ; 3 – Le soufisme ; 4 – Le kharidjisme. Je ne suis même pas sûr qu’un autre connaisseur proposerait le même découpage. Faisons comme si. 

Parce que là où ça se complique, c’est quand ça se subdivise. Rien que pour le sunnisme, il existe « quatre grands rites ». Il faut savoir que les « dignitaires de ces rites se vouent une inimitié fraternelle ». Sansal ajoute : « Ces rites sont : le malékisme, le hanafisme, le chafiisme, le hanbalisme, chaque rite s’étant lui-même scindé en plusieurs branches et rameaux ». N'en jetez plus. Ecoutons le président Mao : « Un se divise en deux ». 

Chantons après lui : ainsi soit-il. 

Voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 14 juin 2015

HONORÉ SOIT DEBUSSY 3

Eh oui, il y a un supplément.

C'est que j'ai eu la surprise de trouver dans Le Monde daté "dimanche 14-lundi 15 juin 2015" le compte rendu qu'a fait Marie-Aude Roux, la chroniqueuse musicale du journal, du spectacle donné en ce moment à l'opéra de Lyon : Pelléas et Mélisande, de Maeterlinck et Debussy. 

PELLEAS HONORE 14 06 2015.jpg

Je n’irai donc pas voir cette version de Pelléas et Mélisande. On l’avait compris, je pense : j’ai décidé de ne plus être utilisé comme cobaye par des expérimentateurs foutraques qui s’acharnent à produire de l’OGM culturel sur les scènes d’opéra, qui n'attend que son José Bové pour être fauché. Le boycott est peut-être moralement condamnable, mais il arrive qu'il soit une nécessité. Le Pelléas et Mélisande de Christophe Honoré est dans ce cas. 

Le rapport entre ce que voit et ce qu'entend le spectateur d'opéra, autrement dit le plaisir qu'il en tirera, relève de la même alchimie qui fait qu'une chanson s'inscrira comme par magie dans les mémoires (Douce France, de Trénet, Les copains d'abord, de Brassens, ...), ou au contraire n'arrivera pas à y planter le plus petit bout de racine.

Pareil à l'opéra : pour atteindre le point d'équilibre entre la mise en musique et la mise en image, aucune recette. Cela tient du miracle. Il va de soi que la mise en scène peut vous gâcher la fête (il m'est arrivé plusieurs fois de partir avant la fin). Mais aussi qu'une mauvaise exécution musicale ne rattrapera jamais les qualités d'une mise en scène réussie. Prima la musica : qu'on le veuille ou non, le metteur en scène devrait se préoccuper avant tout de ne pas nuire.

La chroniqueuse du Monde, qui a assisté au spectacle, se tire de ce guêpier d’une façon on ne peut plus ambiguë. Sans oser l’ironie franche, elle laisse entendre qu’elle a pris quelque plaisir à ce flingage en règle de la machine théatro-musicale mise au point par les auteurs (Debussy-Maeterlinck, prononcer Mâter). J'ai l'impression que ce plaisir est à chercher dans l'exécution musicale. Car le commentaire de la mise en scène est, pour le moins, mi-pique-mi-lame. 

Disons-le : Marie-Aude Roux, même si elle y voit « une beauté singulière », ne goûte guère les fumisteries dont Christophe Honoré a pensé que le chef d’œuvre avait d’urgence besoin pour prendre un sens tout à fait « actuel ». C’est étrange, si l’on y réfléchit, cette frénésie de replacer dans notre actualité faisandée les œuvres du passé, même le plus lointain, même le plus improbable (comme est Pelléas). J’attends monsieur Christophe Honoré dans une adaptation post-industrielle, voire post-atomique, des Perses d’Eschyle. Je suis curieux de voir ce que ça donnerait. 

Golaud est devenu un « patron mafieux ». Mélisande ne mourra pas dans son lit, d’un mal mystérieux, mais « noyée pierres dans les poches dans une mer létale ». Marie-Aude Roux parle d’une « partie de jambes en l’air » (voir photo avant-hier), en lieu et place de la scène de la tour (vous savez, « mes longs cheveux descendent jusqu’au seuil de la tour … »). Le vieil Arkel devient « un grelottant Arkel parkinsonien » à tendance pédophile. L’enfant Yniold devient un adolescent « encapuchonné » qui se coiffe d’une des perruques (!) de Mélisande et qui aguiche le grand-père Arkel, mais « esquive » ses « caresses incestueuses ». Je dis : très fort, Christophe Honoré, pour voir tout ça en filigrane dans le livret de Maeterlinck. 

Pour résumer le travail de Christophe Honoré, M.-A. Roux écrit : « Christophe Honoré a balayé le monde symboliste de Maeterlinck pour un no man’s land peuplé de fantasmes. La voûte des étoiles ne tombera pas sur les amants extasiés au moment suprême du baiser, mais dans la mort ouverte par le fer de Golaud au flanc sacrificiel de Pelléas ». Je laisse à la rédactrice la responsabilité de sa prose fleurie et chantournée. Mais je note qu'elle évite de formuler un jugement explicite.

Il reste, à la fin des fins, que, de ce drame perdu dans un espace et un temps aussi vagues que ceux des contes de fées, un metteur en scène capricieux a cru bon de faire un drame « d’enfants terribles et pervers au fin fond de ce qui pourrait être l’ex-Yougoslavie … ». Pourquoi pas ? Ça ou autre chose, de toute façon … 

N’importe quoi pourvu que ça fasse de la mousse. 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note : puisqu'on en est à causer musique, je signale, quoique dans un tout autre genre, toujours dans Le Monde, mais daté du 13 juin, le somptueux hommage, plein d'humanité, rendu sur une page entière par Francis Marmande à Ornette Coleman, mort le 11 juin.

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Je n'oublierai jamais, pour mon compte personnel, l'effet qu'avait produit à mes oreilles, il y a bien longtemps, l'écoute du premier morceau de Change of the century, Ramblin' (cliquez pour 6'38"), pour l'étourdissant duo de son saxophone avec la trompette de poche de Don Cherry.

lundi, 08 juin 2015

L'ASPECT DES CHOSES

« Sur cent femmes, il existe au moins une bonne demi-douzaine de créatures faibles qui, dans cette grande secousse, reviennent peut-être pour toujours à leurs maris, en véritables chattes échaudées craignant désormais l’eau froide. Cependant cette scène est un véritable alexipharmaque dont les doses doivent être tempérées par des mains prudentes » (c'est moi qui italique).  

Honoré de Balzac, Physiologie du mariage, Deuxième partie (Des moyens de défense à l’intérieur et à l’extérieur), Méditation XXII (Des péripéties).

La "scène" dont parle l'auteur est celle, superbe et implacable, mais généreuse, que le mari vient de faire à son épouse, après avoir, dans un geste d'une grande noblesse dédaigneuse, chassé du placard où il se cachait et de son domicile, le « célibataire » qui tenait compagnie à celle-ci. D'où la recommandation au sujet du dosage. Il faut préciser que si le mari s'était absenté (l'étourdi !), c'était parce que, ayant acquis quelque certitude sur son "infortune" (chantant sûrement ces mots de Georges Brassens : « Eh oui, je suis cocu, j'ai du cerf sur la tête »), il avait programmé avec soin le moment fracassant de son retour. Et la « bonne demi-douzaine » (sur cent) de femmes ainsi dûment reconquises laisse à penser comment Balzac jaugeait l'efficacité d'un tel procédé. La plupart des femmes, dans son esprit, ont un goût inextinguible pour « l'eau froide », comme sa biographie tend à le prouver.

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EST-CE QUE ÇA PREND LA TÊTE ?

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8 7 JUIN.JPG5 20 AVRIL.JPG6 21 AVRIL.JPG4 20 AVRIL.JPG7 16 MAI.JPG4 14 AVRIL.JPG3 7 AVRIL.JPG1 6 JANVIER.JPG3 5 AVRIL.JPG2 19 FEVRIER.JPG

mardi, 02 juin 2015

DÉTAILS 5

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"Est-ce l'Espagne en toi qui pousse un peu sa corne ?

Ou serait-ce dans tes tripes une bulle de jazz ?"

Claude Nougaro.

Mais Tonton Georges n'est pas d'accord. Il verrait plutôt une "Corne d'aurochs".

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mercredi, 27 mai 2015

À PROPOS DU PANTHÉON

Que vous inspire la « panthéonisation » de ces quatre grands résistants, grands républicains, Germaine Tillion, Geneviève De Gaulle-Anthonioz, Jean Zay, Pierre Brossolette ? 

Total respect à la mémoire de ces personnes, à ce qu'elles ont été, à ce qu'elles ont fait. 

Sur la cérémonie en elle-même, excusez-moi, mais j’entends, quelque part au fond du jardin secret, une rengaine têtue, une chansonnette obstinée : 

« Pauvres rois, pharaons ! Pauvre Napoléon !

Pauvres grands disparus gisant au Panthéon !

Pauvres cendres de conséquence !

Vous envierez un peu l’éternel estivant

Qui fait du pédalo sur la vague en rêvant,

Qui passe sa mort en vacances ».

 

Excusez-moi, mais la perspective d'entendre François Hollande prononcer un « discours solennel », ça ne passe pas. Désolé, je ferme les écoutilles à double tour.

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vendredi, 15 mai 2015

IL Y A DU TOTALITAIRE ...

... DANS LA STATISTIQUE

1/2 

A quoi servent les statistiques ? Est-ce seulement ce merveilleux outil de connaissance, qui permet de mettre en lumière des aspects de la réalité inaccessibles à la simple perception individuelle ? Faits sociaux, situations politiques, données économiques, recherches scientifiques, les statistiques font partie intégrante de notre monde, dans tous les domaines qui concernent (de très près ou de très loin) notre vie quotidienne.

Non, elles ne sont pas seulement un outil de connaissance : elles sont aussi un outil de gouvernement. Un outil qui peut se révéler terrible à l'usage. Il en est d'ailleurs ainsi pour les sciences humaines : inutile sans doute de s'appesantir sur l'utilisation des avancées dans la connaissance du psychisme humain par la publicité, par la propagande et par toutes les techniques de manipulation mentale. Vous vous rendez compte : sans Sigmund Freud, pas de Scientologie. Pas d'agressions Coca-Cola par panneaux 4 m. x 3. Pas de surréalisme. « Que la vie serait belle en toute circonstance Si vous n'aviez tiré du néant ces jobards » (Tonton Georges a toujours raison).

Les statistiques sont donc entrées dans les mœurs. Il faudrait même dire : « Dans les têtes », tant chacun a désormais intériorisé la notion abstraite de « catégorie de la population », dans laquelle, à force de bourrage de crâne, il tend aujourd’hui à se ranger spontanément, sans qu’un seul flic lui en ait seulement intimé l’ordre. 

Qu’il le veuille ou non, chacun a désormais une connaissance statistique de lui-même. Chacun est prié de s'éprouver non plus à partir de ses confrontations concrètes à des réalités contondantes ou suaves, mais par le médium infaillible des chiffres élaborés par des experts dont la science le dépasse de trop loin. Chacun est prié d'acquérir une connaissance objective de lui-même. Les statistiques portent le négationnisme de la subjectivité. C'est en cela qu'elles sont porteuses du germe totalitaire.

Chaque jour, journalistes, économistes, politiciens, « experts » et « spécialistes » produisent à qui mieux-mieux, à destination de tous les individus, l’inépuisable spectacle des statistiques dans le fatras desquelles tous ces "sachants" leur intiment l’ordre de trouver leur place. Les statistiques sont la nouvelle figure de la « collectivité », de la « société ». Si ça se trouve, vous appartenez à des catégories dont vous ne soupçonnez même pas l'existence. On vous définit sans vous demander votre avis. On vous assigne une identité dont vous n'avez nulle idée.

La statistique est par nature l’action de compartimenter les comportements humains en les rangeant successivement dans toutes sortes de cases soigneusement étiquetées en un nombre incalculable de catégories abstraites. La statistique a quelque chose à voir avec la dissection : il s’agit de segmenter un corps pour en étudier de plus près chacun des segments. 

Evidemment, comme dans toute dissection, on n’étudie valablement que quelque chose qui fut vivant, mais qui ne l’est plus. Sinon, ça s’appelle un supplice. Premier effet des statistiques : elles font de populations de chair, d’os et d’existences concrètes des abstractions pures et simples. Autrement dit, une population statistique est une humanité chiffrée, comme l’énonce clairement le titre d’Alain Supiot, sur le blog de Paul Jorion : La Gouvernance par les nombres. L’humanité accède enfin à l’existence numérique, seule collectivité sociale aux yeux du statisticien. 

Définitions : « 1 – Etude méthodique des faits sociaux, par des procédés numériques (classements, dénombrements, inventaires chiffrés, recensements, tableaux …). 2 – Ensemble de techniques d’interprétation mathématique appliquées à des phénomènes pour lesquels une étude exhaustive de tous les facteurs est impossible, à cause de leur grand nombre ou de leur complexité ». 

Historique : « Statistique : n. f. et adj. est un emprunt (1771 selon F. e. w.) au latin moderne statisticus "relatif à l’Etat" (1672), formé à partir de l’italien "statistica" (1663), dérivé de "statista" (homme d’Etat), lui-même de "stato", du latin classique "status" ». 

La statistique établit donc des catégories. Ça a des aspects éventuellement rigolos : on peut être « contribuable » et « automobiliste », « électeur » et « pêcheur à la ligne » (on peut s'amuser longtemps à juxtaposer les carpes et les lapins) ; on est rangé par sexe, par appartenance professionnelle, par âge, par situation géographique, que sais-je. On n’en finirait pas. Ce sont les « critères ». Le résultat de tout ça, c’est qu’on a fini par réaliser ce que Voltaire dit de l’homme vu par Micromégas : un amas d’atomes. Voilà, la statistique atomise l’humanité : vous appartenez sans le savoir à mille huit cent quatre-vingt-douze catégories de la population suivant le critère qui est retenu contre vous. 

Première fonction selon moi de la statistique : quantifier à l'infini en subdivisant à l'infini. Etablir des nombres. La statistique instaure le règne des comptables sur le corps social et réduit la vie sociale à une gestion bureaucratique. Elle établit une dichotomie rigoureuse entre sujet et objet, étant entendu que, pour le statisticien, personne n'est une personne, vu qu'il n'y a que des objets.  

Elle vous apprend qu’au 1er janvier 2015, la France comptait 32.126.316 hommes et 34.191.678 femmes. Soit dit en passant, on voit que la statistique établit clairement que la génétique se moque éperdument de la parité entre les sexes et de l'égalité hommes-femmes. 

On en pense ce qu'on veut. 

Voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 10 mai 2015

LES MECS, C'EST TOUS DES CONS !

I - 1 - Je ne sais plus pour quelle banque est faite cette publicité (France Inter), où l’on entend un fils faire la leçon à son père, juste parce qu’il n’est pas assez malin pour s’être rendu client, avec armes et bagages, de cette même banque. Le père croit que son fils lui manque de respect et le prend pour un vieux con, et quand il comprend l’histoire de la banque, il s’exclame soulagé : « Ah, j’aime mieux ça ». On comprend le message : les hommes sont lourds, épais, lents à la comprenette.

2 - Je ne sais plus pour quelle compagnie d’assurance-retraite est cette publicité (France Inter), où une femme tanne son mari pour qu’il s’abonne ici plutôt que là, et le pauvre mec, qui ne sait plus où il a mis les papiers, quand elle lui dit qu’on ne trouve les documents que « sur son "espace personnel" », en ligne, il se justifie pauvrement : « Ah, tu vois bien que j’oublie pas tout ». On comprend le message : les femmes sont subtiles et à la page. Les hommes ? Des benêts, des balourds, des empotés, des étourdis.

3 - Toujours sur France Inter, au moment de Pâques, publicité pour des chocolats. Pépé raconte au gamin l’histoire des cloches. « Mais non pépé, c’est pas ça l’histoire ». Suit le nom de la marque : « Et en plus c’est toi qui vas courir » (au magasin, évidemment). On comprend le verdict : les hommes sont des dinosaures, et les enfants leur font la leçon. Au passage, on entend aussi  le cri de guerre : à la poubelle les traditions et les histoires d'autrefois.

Synthèse : Il y en a d’autres, des publicités qui présentent les hommes comme des couennes, des nouilles, des buses. L’air du temps est imprégné. C’est très à la mode, le « male-bashing » (les mâles méritent une bonne dérouillée ; « male / female », l'anglais n'a pas de nos petites pudeurs langagières, je m'engouffre dans la brèche). Qu'est-ce que nous prenons, mes frères ! Si la publicité véhicule ces clichés, c'est que le "créneau" est "porteur". Je veux dire : la société est réceptive. Demandeuse.

II - Et en plus, quand ils ne sont pas plombés du bulbe, les hommes sont d'immondes salauds. Le 5 mai, Libération fait sa « H-une » sur le thème du harcèlement des journalistes femelles par les politiciens mâles. Il paraît qu’on appelle ça « sexisme ». Il paraît que le sexisme, eh bien c'est pas bien du tout ! C'est même très vilain. « La morale de cette histoire, C'est que les hommes sont des cochons ». Des cochons sexistes !

C’est  Libération qui le dit, dans un dossier de cinq pages complètes (mais avec photos grand format) ! Si j'ai bien compris, le sexisme, ça consiste à considérer les personnes de l'autre sexe comme étant de l'autre sexe. Dites-moi si je me trompe. Soit dit en passant, les féministes les plus enragées contre « l'ordre masculin » ne se privent pas de manifester un sexisme à l'état aigu. Il va de soi que ce sexisme-là est sanctifié. Il y a le sexisme HDL et le sexisme LDL. Le sexisme, c'est comme le cholestérol : il y a le bon et le mauvais.

Faut-il être un mâle niais, arriéré, demeuré (pléonasmes aux yeux de certaines) pour adhérer au mauvais sexisme ! Soyons modernes, nous clame la clameur. Etonnamment, le Manifeste des 40 journalistes femelles prend soin de préciser que c'est Françoise Giroud qui a inventé LA "Journaliste Politique", mieux à même, selon elle, de tirer les vers du nez de ces mâles qui font carrière en politique, grâce à son charme et aux efforts qu'elle fera pour soigner son apparence. Il fallait appâter le poisson.

C'est donc Giroud qui a inventé l'argument de la séduction dans les rapports entre journalistes et personnel politique (plusieurs de ces rencontres ont fini devant monsieur le maire - ou plus directement dans un lit). Moi je dis : qui s'y frotte s'y pique. Moi je dis : fallait pas y aller ! Car cette incitation à développer « ad libido » (pardon) tous les moyens de valoriser leur féminité ne les empêche pas aujourd'hui de hurler : 

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Le gros titre en une de Libé, le 5 mai.

Autrement dit, elles sortent la matraque du policier, parce que  le truc de la séduction est d'une merveilleuse efficacité. Autrement dit : on veut le beurre (professionnel, journaliste, si possible un scoop qui rapporte gros, dont la célèbre « petite phrase » est le modèle de base sacramentel) et l'argent du beurre (le mec, j'en fais ce que je veux, c'est moi qui commande). On fait les coquettes. On joue les Célimène, mais des Célimène punitives.

Pauvres hommes politiques : un certain Tantale, dans un mythe célèbre, avait connu pareil supplice. Avouez qu'il y a du sadisme dans l'attitude féminine. Avec cette histoire de devenir des appâts en faisant miroiter leurs appas, tout en refusant les effets totalement prévisibles de leur manège (c'est même fait pour ça), les femmes journalistes gagnent sur les deux tableaux. 

Très fort, très habile, très à la mode, et très pervers, en ces temps policiers : tout prendre sans rien donner. C'est peut-être ça, l'avant-garde du « combat pour les femmes » : se servir du désir masculin pour arriver à ses fins. Sauf qu'utiliser son corps pour gagner sa vie professionnellement, ça porte un nom, sur les trottoirs.

Je signalerai juste qu'une prostituée de métier, elle, paie vraiment de sa personne.  Et qu'il y a des chances pour que ce soient les mêmes effarouchées à la vertu outragée qui veulent, légalement, « pénaliser le client » et « éradiquer la prostitution ». Mot d'ordre et horizon de la démarche : chasser du corps du mâle le démon de la nature humaine (cf. L'Exorciste). On me dira qu'il n'y a pas de nature humaine. Moi je dis : ben si !

A ce propos, Caroline Eliacheff, le mercredi 29 avril, commençait sa chronique sur France Culture par une dénonciation du harcèlement sexuel : « 100 % des femmes ont été harcelées dans les transports en commun ». Je m’attendais déjà au pire. Caroline Eliacheff m’a très vite rassuré : bien qu’elle soit « présentable » (mon copain Yves dit : « Pas fatigante à regarder » ; mon collègue Alain, lui, disait plus subtilement : « Elle est "gentille" »), elle affirme n’avoir jamais été « harcelée ». J’aime mieux ça. C’est une femme raisonnable. 

Tout repose en effet sur la définition du mot « harcèlement ». Pour les féministes, le harcèlement commence, semble-t-il, au moment où un homme regarde une femme et lui fait comprendre qu’il la trouve jolie. C'est souvent primaire, reconnaissons-le. Mais que cela soit bien entendu, une fois pour toutes : c’est intolérable. Le gonze qui manifeste un intérêt pour une gonzesse, c’est un « lourd ». Un « macho ». Bref : un agresseur, qui a le tort de ne pas se crever les yeux au passage d’une jolie femme. Brassens est plus normal. Disons plus humain : « Mais faut dire que je m'étais crevé les yeux En regardant de trop près son corsage ».

Qu'on se le dise : de nos jours, le regard d'un homme sur une femme qui passe devant lui est en soi un agression, tout simplement. Pas pour toutes les femmes cependant : Libération du 6 mai mentionne, avec des pincettes et en se bouchant le nez (on est "degôche", n'est-ce pas), l'incongruité que constitue Sophie de Menthon (ci-dessous).

2015 6 MAI.jpg

Qui est choqué ? Qui la dame a-t-elle fait hurler ? Devinez.

 

Ah, on me susurre que la main accompagne souvent le regard ? On va dire que l’homme est un primate (ce qu’il est, en toute vérité zoologique, comme la femme), un rustaud, un mal-dégrossi, à équidistance du singe, du "Crétin des Alpes" et du paysan du Danube. Tout ça pour dire que c'est un anormal. Je ne crois pas me tromper beaucoup en voyant la Correctionnelle pas loin derrière. L’ « envie de pénal » a encore frappé. Reviens, Philippe Muray ! 

CRETIN DES ALPES.jpg

Le "Crétin des Alpes".

Balzac en parle dans Le Médecin de campagne. Le docteur Bénassis s'en tire avec une déportation en bonne et due forme. Les féministes pourraient s'en inspirer, non ? Qu'est-ce qu'elles attendent ?

 

Selon la Publicité et les Féministes, l’air du temps est catégorique.

Au choix : les mecs sont des cons, ou bien des salauds. 

Et pourquoi pas les deux ? Façon "cumul des mandats" ? Ça aurait au moins un petit air "socialiste", non ?

Voilà ce que je dis, moi. 

jeudi, 30 avril 2015

L'ETAT FOUT LE CAMP ...

... MAIS LE POLICIER PROSPÈRE.

3/3 

Je ne veux voir qu’une tête. Je ne veux entendre qu’une parole. Jusqu’à récemment, prononcer l’expression « génocide des Arméniens » conduisait un Turc direct au tribunal et en prison. Il paraît que ce n’est plus le cas, grâce à l’écrivain Ohran Pamuk. C'est encore mal vu, mais ce n'est plus un crime. La justice turque n’a rien compris apparemment au mouvement actuel de l’histoire : elle fait tout à l’envers. Elle n’a pas compris qu’il faut réprimer la parole en amont, à coups de lois transformant opinions et mots en délits ou crimes, et promettant prison et amendes à tous les nouveaux déviants. En espérant que ça empêchera les gens de penser "mal". 

Eliminer les nuisibles, fabriquer l'homme nouveau : je crois vaguement me souvenir que c’était le rêve de quelques délicieux « Führer » qui ont ébloui le 20ème siècle des splendeurs de leurs exploits. Façonner ceux qui restent de façon qu’ils soient exempts de tout apport exogène, de toute excentricité allogène, en somme une race certifiée « 100 % pur porc ». Et puis surtout placer les militants du Bien aux postes névralgiques : les postes de commande.

Mais qu’il s’agisse des négateurs de « l'Empire du Bien » (Philippe Muray) ou de Michel Houellebecq, le problème ne cesse pas de se porter sur le « rapport à l’autre que moi ». Celui qui pense déviant, c'est toujours l'autre que moi, à condition que "moi" soit au pouvoir. Sauf qu'aujourd'hui, c'est Michel Foucault qui est au pouvoir. Enfin, pas lui : ses adeptes confits en dévotion anti-étatique et anti-normative. Ce sont eux qui tiennent les rênes de la loi : la tolérance aux déviances sera totale. De même que l'intolérance aux subversifs qui osent encore poser le mot « déviance » sur certains comportements.

Les « philosophes de la déconstruction » (Foucault, Derrida, Deleuze, pour faire vite) sont les penseurs de la déconstruction de la société en tant tant qu'ensemble structuré. Poussés par l'idéologie, ils n'ont rien compris à l'essence de la socialité : accepter des limites aux droits de l'individu.

A force de soutenir qu'on n'est déviant (Foucault et les fous, Foucault et les prisonniers, Foucault et les anormaux, ...) qu'à cause de l'arbitraire de l'ordre établi, on constate qu'il suffit d'arriver au pouvoir pour inverser la nature de la déviance. Si Michel Foucault, grand militant de la réhabilitation de la déviance dans sa dignité pleine et entière, n'était pas mort du sida trop tôt, nul doute qu'il aurait été ministre pour instaurer la dénonciation de la nouvelle déviance comme moyen de gouvernement.

Mais ce n'était que partie remise : ses descendants ont accompli la chose. Et ce sont ceux qui soutiennent qu'il existe des déviances dans les comportements qui sont alors eux-mêmes considérés comme déviants. Dans le fond, tout dépend si on est au pouvoir ou pas.

Les nouveaux déviants, les indésirables d'aujourd'hui, les nuisibles qui persistent à voir du Mal dans le nouvel « Empire du Bien », ne sont plus dans le même camp : il est tacitement convenu qu'il faut être « progressiste ». Il faut être, comme Laurent Joffrin, du côté de ceux à qui les « conservateurs » et autres « Nouveaux réactionnaires » donnent envie de vomir.  Le seul moyen d'y voir clair, c'est de se demander qui, à un moment donné, est détenteur du pouvoir. Je veux dire : qui est en mesure de décréter urbi et orbi ce qui est le seul Bien, le seul « Vrai Bien » admissible. Rétrospectivement, c'est instructif.

L’homme social a besoin de normes, c’est incontestable, je le dis à l'encontre de l’air du temps. Le problème, c'est que, dès qu'il y a "norme", il y a "écart" par rapport à la norme. C'est forcé. La déviance n'est jamais loin. D'où l'exécration générale de la notion de norme (ah, ces quatre doigts qui font les "guillemets" quand on ose, à l'oral, prononcer le mot !). Pourtant, je dirai que la socialité consiste essentiellement dans l'établissement d'une norme.

Les normes, après tout, ne sont rien d’autre que des limites chargées de contenir le moi des individus, dont les propensions totalitaires ne sont jamais à exclure. L'enfant tout-puissant n'est jamais complètement enfoui sous l'adulte d'apparence modeste. La norme est un régulateur social. Un frein à la folie. Il est invraisemblable que la notion de norme soit aujourd'hui à ce point la pestiférée de l'esprit.

Quand la norme se dissout (quand elle prolifère comme un cancer), la société suit aussitôt le mouvement de dissolution. Jean-Pierre Le Goff le dit : « déliaison ». L’appel à la « tolérance », l’interdiction de « l’intolérance » ne sont que des jambes de bois qui n’empêcheront jamais l’humanité de boiter (si possible « des deux pieds », comme dit Tonton Georges). Quel que soit le régime politique. L'humanité boite dans son essence. Tristan Tzara le résume magnifiquement dans son titre L'Homme approximatif.

Le Mal est inarrachable. J'ai fini par m'en convaincre : Jean-Jacques Rousseau a dangereusement tort. L'homme n'est pas "né bon". Il n'est pas non plus "né mauvais". L'homme devient ce qu'en fait la civilisation. Quand il naît, il n'est pas encore. Il deviendra, complexe assemblage de Bien et de Mal.

Jésus le dit dans la « Parabole du bon grain et de l'ivraie » : « Laissez croître ensemble l'un et l'autre jusqu'à la moisson ». Je ne suis pas théologien, mais je vois dans cette parabole un éloge de la fonction civilisatrice de la société. Aucun homme n'est mauvais d'avance, tout simplement parce que le Mal en lui est indétectable jusqu'à ce qu'il ait mûri. Voilà pourquoi Sarkozy est un imbécile, à vouloir détecter dès trois ans la dangerosité potentielle du futur adulte : « Il n'y a rien à faire, le mal naît en même temps que nous » (Roberto Saviano, Extra pure, 2013). 

Les guignols politiques, assis sur le couvercle de la marmite où le Mal bouillonne et prospère, interdisent le Mal par décret, pour complaire à leurs clients électoraux. Ou plutôt, ce n'est pas le Mal qu'ils visent en soi (sur lequel ils sont impuissants), c'est la parole de ceux qui le voient, l'analysent, en parlent. La police et les tribunaux contre les paroles, plutôt que l'action sur les choses.

Ce qui se passe ? Comme l’Etat s’est coupé les mains pour surtout ne pas agir sur la réalité économique, comme il est de plus en plus incapable de parer à la débâcle concrète qui détruit le travail productif et la production de richesses, il a orienté son action sur ceux qui ne peuvent pas contester sa légitimité. Il a rabattu ses crocs, avec férocité, sur la sphère sociétale, les symboles, les « représentations » et les révolutions morales et idéologiques à tout va.

Puisque le politique est désormais impuissant à changer le monde concret, il a entrepris de changer les esprits, en leur injectant de force, dès le berceau, les « éléments de langage » qui leur feront voir la réalité de façon conforme à la grille de lecture officielle, à la ligne du parti unique, le parti bien-pensant. 

Puisque la réalité économique lui échappe et part en quenouille, l’Etat se rabat sur les mœurs et les opinions. Le formatage des êtres à la nouvelle doxa, au moyen d'un propagande massive. Il ne faut pas lutter contre le désastre concret et de plus en plus certain auquel les transnationales, industriels, traders, financiers vouent la planète : il faut lutter contre le racisme et l’intolérance, il faut lutter contre le Front National. Cherchez l’erreur. Le mensonge s'est installé à demeure au pouvoir. 

Car ceux qui font semblant de parler de cette réalité concrète, et qui noient le poisson et l’asphyxient en le plongeant dans toutes sortes de fumées qui font diversion et détournent l’attention de l’essentiel, sont seulement des MENTEURS. 

Je serais à la place du législateur ou du punisseur, qu’il s’appelle Caroline Fourest, Laurent Joffrin ou Edwy Plenel, je commencerais par me demander de quel côté elle est, la HAINE. Et de quel côté les PHOBIES. Proclamer sa haine de la haine, en même temps que ça évite de s’occuper concrètement des problèmes (désindustrialisation, travail, logement, …), n’est pas sans effets. 

La haine de certaines haines désignées comme telles (prenez un mot désignant une minorité, et faites-en une "phobie", vous aurez un motif passible de la correctionnelle), travaille sans le savoir à instaurer, sous une surveillance policière de plus en plus méticuleuse, la haine comme norme suprême de la relation sociale (inséparable de l’appel au « vivre-ensemble » et à la « tolérance », pendant obligé de sa double injonction paradoxale). 

Quand le législateur se confond avec le justicier érigé en chevalier blanc, le pauvre monde a du mouron à se faire. A plus forte raison quand l’Etat, avec la complicité active de ses « serviteurs », se défile et s’écrase, pour mieux s'effacer et donner le pouvoir aux groupes de pression (filières professionnelles, entreprises, lobbies, compartiments étanches multiples appelés « minorités », …).

Disons-le, quand il devient le jouet, le pantin, la marionnette de toutes sortes de groupes influents qui grenouillent autour de tous ceux qui décident et ont la signature, qui obtiennent le vote de lois destinées à satisfaire leurs « justes revendications ». 

La privatisation de tout ce qui était encore il y a peu le « Bien Commun » et le « Service Public », ajoutée au devenir policier du « Vivre ensemble », voilà un modèle de société auquel n’avaient pensé ni les humanistes de la Renaissance, ni les philosophes des Lumières. 

C’est curieux, les paradoxes de l’histoire : je ne sais plus si c’est Marx ou Lénine qui assignait pour but ultime au communisme l’extinction de l’Etat. L’Etat ? Il est en train de s’éteindre, ou plutôt de crever, mais sous les coups de l’ennemi juré du communisme, depuis les débuts de celui-ci. J’ai nommé le Capitalisme. 

Et ce n'est pas drôle.

Voilà ce que je dis, moi.

Note : tout cela est long, lourd, touffu, j'en conviens. Indigeste. La faute aux relectures successives, aux ajouts et retouches opérés, et à la flemme d'y mettre de l'ordre.

mardi, 28 avril 2015

L'ETAT FOUT LE CAMP ...

... MAIS LE POLICIER PROSPÈRE.

1/3 

François Sureau déclarait dernièrement : « Ce qui reste de l’Etat s’en va par pans entiers » (citation approximative). Venant d’un si grand connaisseur du droit et du fonctionnement de l’Etat, j’ai tendance à accorder un certain crédit à ce propos. D’autant qu’il corrobore les bribes d’analyse que mes faibles moyens me permettent tant bien que mal de conduire, aidé par quelques lectures. 

L’Etat, en France, fout le camp à toute vitesse. Il se débarrasse le plus vite possible de ses meubles, dont l'entretien lui revient trop cher, paraît-il. Les rats qui sont aux commandes quittent le navire national. La puissance publique vend les bijoux de famille (immeubles prestigieux, autoroutes, …) aux investisseurs privés.

L'Etat se déleste de tout ce qui faisait le « Bien commun », que ses « serviteurs » se font fort et s'enorgueillissent (quand ils sont en public) de défendre, alors même qu’ils le bradent effrontément, en toute impunité. Et en même temps, le chroniqueur Philippe Manière peut déclarer : « Les finances publiques font eau de toute part » (ce matin même sur France Culture). Je renonce à comprendre.

Tiens, un exemple à propos de défense : le ministre ad hoc, Jean-Yves Le Drian, insiste beaucoup en ce moment pour obtenir que des investisseurs achètent le matériel militaire que l’armée française leur louerait ensuite (voir Libération, 20 avril, p. 14-15). La juriste Mireille Delmas-Marty souligne les risques que fait courir la sous-traitance (« externalisation », faut-il dire) des forces publiques (police et armée) à des sociétés privées, qu’elle qualifie d’érosion du monopole d’Etat. 

Pas seulement en France : voir les sales histoires liées à la présence des mercenaires de l’armée privée Blackwater en Irak. Plusieurs pays sont en train de privatiser, au moins partiellement, leur police et leur armée. La mode est à l’abandon de souveraineté. Au nom de quels intérêts ? Devinez.

L’Etat français se « désengage » (euphémisme), comme s’en plaignaient dernièrement et financièrement, parmi beaucoup d’autres, les maires ruraux auprès de Marylise Lebranchu, ministre de quelque chose. Les dotations à Radio-France, les subventions aux théâtres, aux festivals, aux associations maigrissent à vue d’œil. Plus grave et plus globalement, les « transferts de moyens » n’ont jamais suivi les « transferts de compétences » voulus par la régionalisation. Les impôts locaux augmentent. Qu’ont-ils fait du fric ? Que font-ils du fric ? Qui siphonne l'argent public ?

Le refrain destiné à enrober la réalité de plus en plus squelettique ? « L’Etat n’a plus les moyens. » Traduit en français : l’Etat a capitulé face au « Marché ». Il renonce à protéger les citoyens, à réguler les flux. Or quand l’Etat se délite, à plus ou moins long terme, on aboutit à des situations comme celle que connaît en ce moment la Libye, suite à la lumineuse intervention de Sarkozy (avec Cameron), sur la suggestion lumineuse du « Phare de l'Occident », un certain BHL. Bernard-Henri Lévy ! En personne ! V'rendez compte ? « Mon prince on a les phares du temps jadis qu'on peut. » Pardon, Tonton Georges. Les optimistes diront que la France n’en est pas là. Je veux bien, mais. 

C’est donc très mauvais signe. Ça veut dire qu’on va vers un monde dominé par les forces du « Marché », de plus en plus tout-puissant, impérieux, tyrannique. Les populations n’ont qu’à bien se tenir et se préparer au pire. On va vers un monde entièrement privatisé, d’où la notion de « Bien public » aura totalement disparu, un monde bientôt contraint de se plier à l’exigence de rentabilité maximum.

On pressurera le rentable, pour installer des robinets en or massif à la baignoire, et on jettera le non rentable à la poubelle et aux bidonvilles. Ce n’est pas pour rien que Nicolas Sarkozy a donné libre essor aux PPP (Partenariats Public / Privé), ces machines destinées à siphonner pour très longtemps les finances publiques (bail emphytéotique ou autre). 

Dans ce monde que je vois venir (en croisant les doigts dans l’espoir que je suis un âne, bête à manger du foin, que j’ai tort et que je me trompe du tout au tout, mais), quelques monstres trouveront tous les moyens pour que la population, une fois rentabilisée, soit aussi de plus en plus surveillée, pour empêcher les opposants de s’opposer et les récalcitrants de récalcitrer. 

Car, presque paradoxalement, la société que nous prépare « ce qui reste de l’Etat » a de plus en plus nettement, clairement, arrogamment un profil policier. Je suis en train d’achever la lecture du très austère mais très costaud livre de Mireille Delmas-Marty, Liberté et sûreté dans un monde dangereux (Seuil, 2010), où elle pointe, dans un vocabulaire à la précision scalpelliforme et avec une rigueur intellectuelle de juriste consommée, les dérives sécuritaires des législations dans les pays démocratiques depuis le 11 septembre 2001 (en réalité depuis plus longtemps). En plein débat sur la « loi renseignement », cette lecture ne pouvait pas mieux tomber. 

Voilà ce que je dis, moi. 

lundi, 20 avril 2015

QUAND HOUELLEBECQ INTERVIENT

2009 INTERVENTIONS 2.jpgJe n’ai pas tout compris dans la méthode de publication, réédition, distribution et redistribution des textes que Michel Houellebecq a donnés à droite et à gauche depuis que ses écrits sont publiés (1988, je crois, pour des poèmes en revue). Toujours est-il et quoi qu’il en soit, je viens de lire Interventions 2 (Flammarion, 2009). On dira que je fais une fixation. 

Je ne rejette pas a priori l’hypothèse de la pathologie, mais que voulez-vous, quand vous mettez le pied dans un patelin où, à votre grand étonnement, vous avez soudain l’impression de rentrer à la maison tellement c’est comme ça que vous vous racontiez l’histoire et que vous vous peigniez le paysage, vous avez envie de vous arrêter là, et d’en savoir un peu plus long, ne serait-ce que pour vérifier que vous ne rêvez pas. 

Il se trouve simplement que j’ai découvert en 2011, avec La Carte et le territoire, un écrivain qui surpasse de très loin le niveau du vulgum pecus littéraire français. Et que j’ai eu envie de creuser la question. Je dois dire qu’en creusant, je n’ai pas été déçu des matières que ma rivelaine amenait au jour, à mesure que j’avançais dans le filon. 

Interventions 2 est ce qu’on appelle un « recueil ». Forcément, il y a « à boire et à manger » : des textes de longueurs, de natures, de genres et de thématiques différents, qui ont été demandés à l’auteur entre 1992 et 2008. Sans compter l’avant-propos, il s’ouvre et se ferme sur des règlements de comptes. Le premier (« Jacques Prévert est un con ») n’a pas besoin d’explication. Le titre annonce la couleur et se suffit à lui-même. 

En revanche, le titre « Coupes de sol », qui clôt l'ouvrage, reste énigmatique tant qu’on ne sait pas que Houellebecq est sorti de la même « Agro » que  Robbe-Grillet, et que la « coupe de sol » est une des bases, paraît-il, de l’enseignement agronomique. Cela n’empêche pas le condisciple à retardement d’infliger une bonne avoinée littéraire à son prédécesseur : non, Houellebecq n'aime pas le pape du "Nouveau Roman". Je le comprends.

C’est que Houellebecq a fait des choix (il ne le dirait peut-être pas comme ça : des choix qui se sont imposés ou qu’il n’a pu refuser de faire, il a une conception pessimiste de la liberté humaine), il a pris position, ce qui l’autorise à porter des jugements.

Si certains trouveront ceux-ci péremptoires et injustes, c’est qu’ils ont l’esprit « errant et sans patrie » de ceux qui, prenant tout ce qui vient au motif qu’il ne faut rejeter ou exclure rien ni personne, s’interdisent de porter quelque jugement que ce soit sur qui ou quoi que ce soit, mais attention : en interdisant absolument à quiconque de ne pas être d’accord avec eux, sous peine de correctionnelle. Pour eux, affirmer des choix et porter des jugements, c'est forcément être facho. Si tout au moins choix et jugements osent s'écarter de leur ligne.

Je veux parler de tous les obsédés du consensus moral, tous les flics tolérantistes qui peuplent la gauche raplapla, dépourvus de ce moyen de jugement qui permet de distinguer le bon et le mauvais, le juste et l’injuste, le beau et le laid, – ce moyen qu’on appelait un CRITÈRE, à l’époque où les « valeurs » étaient encore des échelles, qui permettaient de placer êtres, choses, langages, systèmes, œuvres d’art à des altitudes différentes. Cette époque ténébreuse et heureusement révolue, où l’on avait encore l’infernal culot d’appeler un chat un chat. 

Je laisse Robbe-Grillet aux amateurs, s’il y en a encore. Je m’arrête sur Prévert, le poète préféré des enseignants masochistes qui aiment se faire flageller en faisant apprendre « Le Cancre » à leurs élèves multiculturels : « Il dit oui avec la tête, mais il dit non avec le cœur, il dit oui à ce qu’il aime, il dit non au professeur, et gnagnagna et gnagnagna ». Prévert illustre à merveille la niaiserie irréversible qui a saisi la société française au moment où elle a commencé à sacraliser « le monde merveilleux de l’enfance ». 

Houellebecq met le monsieur dans le même sac que Vian, Brassens et Boby Lapointe (qu’il écrit « Bobby », l’ignorant), dont il trouve les jeux de mots stupides. Tant pis, c’est son droit. Question de génération sans doute. Vian, je le lui laisse assez volontiers, mais Brassens et Lapointe, je ne suis pas d’accord : ils ont poussé leur rhizome trop loin dans mon oreille pour que je puisse seulement songer à en arracher la moindre radicelle. S’agissant de Brassens et Lapointe, je perds tout esprit critique. 

Jacques Prévert souffre, aux yeux de Houellebecq d’un certain nombre de tares. Certes et hélas, « il a quelque chose à dire », « Malheureusement, ce qu’il a à dire est d’une stupidité sans borne ». Il enfonce le clou : «  Sur le plan philosophique et politique, Jacques Prévert est avant tout un libertaire ; c’est-à-dire, fondamentalement, un imbécile ». Il n’a pas tort. Pour terminer : « Si Jacques Prévert est un mauvais poète, c’est avant tout parce que sa vision du monde est plate, superficielle et fausse ». J’avoue que ces quatre pages m'ont fait un bien fou. Un fier encouragement à poursuivre la lecture. 

Le propre d’un recueil, c’est d’être d’un intérêt inégal. C’est dans sa nature. Certains textes (critique cinéma, critique art, critique poésie, …) ne me disent guère. C’est le cas, en particulier d’ « Opera Bianca », suite de courts textes destinés à accompagner l’ « installation mobile et sonore conçue par le sculpteur Gilles Touyard ».

Je ne connais pas les œuvres de Gilles Touyard, mais en apprenant que « la musique est due à Brice Pauset », c’est plus fort que moi, je ferme toutes les écoutilles. Peut-être à cause du traumatisme que constitue  la production sonore (je n'ai pas dit la « musique ») de ce monsieur, tout fier de reproduire, par exemple, les sons enregistrés d'un aspirateur en fonctionnement.  

D’autres retiennent sans effort mon attention. C’est le cas d’un article daté de 1992 (« Approches du désarroi »), un vrai petit chef d’œuvre synthétique et analytique sur l'époque que nous vivons, dont je conseille vivement la lecture. C’est aussi le cas de « Philippe Muray en 2002 ». C’est encore le cas d’un entretien avec des gars de Paris-Match. Quelques autres. 

La loi du genre, quoi. 

Voilà ce que je dis, moi.